Grève des profs: l’adoption d’une loi spéciale est «presque impossible», selon un spécialiste

Gabriel Côté
Le recours à une loi spéciale pour forcer les enseignants à retourner au travail est peu probable en raison de récentes décisions de la Cour suprême, selon un spécialiste de la Constitution, qui prévient toutefois que le gouvernement Legault n’a pas les mains complètement liées.
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Même si les écoles sont en fermeture forcée depuis des semaines, Québec n’a toujours pas évoqué la possibilité d’une loi spéciale, qui était autrefois le moyen utilisé par le gouvernement pour dénouer les impasses en contexte de grève.
Selon le professeur de droit constitutionnel Patrick Taillon, la raison en est que le gouvernement ne dispose pas vraiment «d’espace» pour le faire dans l’état actuel du droit.
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Au gré de différents jugements depuis le début des années 2000, la liberté de s’associer, un droit protégé par la charte canadienne, est lentement devenue le droit de négocier de bonne foi les conditions de travail, et même de faire la grève pour provoquer des négociations.
Puis, cette évolution du droit a culminé en 2015 avec un jugement de la Cour suprême, qui a rendu «extrêmement compliqué», et même «presque impossible» le recours à une loi spéciale. «Pour le moment, la tendance est donc à la consolidation de la logique qui veut que les lois spéciales, c’est interdit par la Constitution», explique M. Taillon, au téléphone.

«Mais si un jour le gouvernement dit que c’est assez et qu’il veut aller de l’avant avec une telle loi, il a quand même un petit espace pour le faire, mais il est plus restreint que jamais», précise-t-il.
Pour le professeur, le scénario le plus solide juridiquement serait d’imiter ce qu’a fait le gouvernement de Doug Ford en Ontario l’an dernier, et de voter une loi spéciale en utilisant la disposition de dérogation, ce qui avait provoqué un véritable choc dans l’opinion publique.
«Il y a un coût politique à cette option, mais il reste que ça a ouvert un espace de négociation, car les syndicats savaient qu’ils se feraient imposer des conditions s’ils ne mettaient pas de l’eau dans leur vin, alors que le gouvernement cherchait une manière d’éviter de mettre en œuvre sa propre loi spéciale, qui ne le rendait pas très populaire», relate le spécialiste.
Or, le gouvernement Legault n’a pas nécessairement à se rendre jusque-là. «Il pourrait aussi brandir la possibilité de forcer le retour au travail comme un simple épouvantail, ou comme un levier pour changer les rapports de force», poursuit Patrick Taillon.
Dans un autre scénario, Québec pourrait essayer de se plier aux exigences actuelles du droit, et se préparer à défendre sa loi spéciale devant les tribunaux. «Il faudrait alors que le gouvernement soit prêt à faire la démonstration qu’il a négocié de bonne foi, et de démontrer par exemple qu’après un certain nombre de semaines, il y a un vrai péril pour l’éducation, car aucun droit n’est absolu.»
Et si autrefois le rapport de force penchait trop du côté des gouvernements, il y a désormais un déséquilibre qui avantage les syndicats, une situation qui devra être corrigée dans les prochaines années, réfléchit le professeur.
«Les juges ont voulu s’en mêler, maintenant il va falloir qu’ils dégagent les critères et les circonstances où l’utilisation de la loi spéciale est justifiée», conclut-il.
La protection constitutionnelle du droit de grève
La Cour suprême du Canada a rendu en 2015 un jugement reconnaissant que le droit de grève jouit d’une protection constitutionnelle.
Cette décision stipule qu’une loi qui interdit totalement toute grève des salariés désignés par l’employeur pour assurer les services essentiels constitue une entrave aux droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés.
Il s’agit d’une décision controversée, puisque l’actuel juge en chef de la Cour suprême avait lui-même rédigé un argumentaire contre ce jugement.
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