Hommage à un frère disparu: voici le récit touchant du romancier Grégoire Delacourt dans «Polaroids du frère»


Marie-France Bornais
Auteur de L’Écrivain de la famille et de La liste de mes envies, l’écrivain français à succès Grégoire Delacourt explore dans Polaroids du frère les fragments de souvenirs qui lui reviennent en mémoire après la mort de son frère qu’il n’avait pas vu depuis des décennies. Il y dévoile la violence du père, la complicité entre frères, puis les silences, la maladie mentale, l’isolement, la culpabilité. Grâce à la littérature, l’auteur arrive à sublimer le malheur pour faire une œuvre poétique et lumineuse.

Grégoire Delacourt raconte les souvenirs déclenchés par la mort de son frère, retrouvé seul dans sa maison de Roubaix, victime d’une chute tragique. Avec le décès viennent les funérailles, le deuil, et surgissent les souvenirs, les beaux comme les moins beaux puisqu’il est question de violence familiale, de sentiments difficiles et de traumatismes.
Très personnel
«Avec L’enfant réparé, c’est sans doute mon livre le plus personnel», révèle Grégoire Delacourt, en entrevue. «Et en même temps, il y a quelque chose d’universel parce qu’il parle d’une autre personne, qui est mon frère. Donc, il est personnel pour moi, mais il est personnel aussi dans l’autre. Il a quelque chose de très joyeux et de pas tourné vers moi: c’est moi tourné vers l’autre.»
L’écrivain précise qu’on est dans le récit... mais aussi dans le roman. «Il y a une part de roman, surtout dans la deuxième partie du texte, parce que moi, j’ai la réalité, mais je n’ai pas toujours la vérité: on ne sait pas. De même, sa mort, par exemple: on suppose qu’il est tombé. C’est ce qu’a dit la police. Mais je ne sais pas ce qui s’est passé, donc là, il y a du roman.»
«Mais le roman permet d’aller loin et d’essayer de trouver cette vérité, quelque chose d’universel qui nous relie tous, à partir de mon chagrin et de la mort d’un homme.»
Renouer avec son frère
L’écrivain français dit que le roman a commencé avant le décès de son frère, avec qui les liens étaient coupés depuis longtemps: «J’avais commencé à lui écrire, une petite année avant son décès, sur les conseils d’un psy qui m’avait dit: “Écrivez-lui, quand même, parce que je pense que c’est important pour votre frère de savoir qu’il existe encore pour vous”».
Grégoire Delacourt a su par la famille que son frère avait été extrêmement touché. Il lui a écrit une deuxième fois et lui a commandé des repas pour son anniversaire. «J’étais à New York, lui était dans le nord de la France. Malheureusement, au moment où je me suis dit que j’avais envie d’aller vers lui, de renouer avec lui, il est mort. Je suis revenu pour l’enterrement.»
Continuer d’écrire...
Il a continué à lui écrire, d’une certaine manière. «J’avais un carnet de notes où j’ai noté plein de choses, pendant deux ans. Des souvenirs, des petites choses. Un petit peu comme si je voulais le retenir, comme du sable, et on ne veut pas que la main soit vide à la fin de la journée...»
En septembre dernier, il s’est demandé quoi faire avec ce qui lui faisait penser à un album de photos et de souvenirs. «J’aime bien que le livre soit l’aboutissement de quelque chose. J’ai créé, au fil de l’eau, pendant deux ans, ce livre, pour lui redonner vie, d’une certaine manière.»
«Je suis reparti de ce corps “absolument abîmé, horrible”, m’a-t-on décrit. Comme un sculpteur, qui met ses mains dans la glaise, dans la boue, j’ai essayé de refaçonner comme une sculpture, quelque chose de beau, une splendeur, qui était lui. Jusqu’à, vers la fin du livre, lui donner son nom. Un peu comme on remet au monde quelqu’un. Pour moi, c’est très joyeux de le refaçonner, de le remettre au monde.»
Polaroids du frère
Grégoire Delacourt
Éditions Albin Michel
Environ 200 pages
- Grégoire Delacourt a publié 12 romans.
- On lui doit L’Écrivain de la famille (prix Marcel-Pagnol 2011, prix Carrefour du Premier Roman 2011, prix Cœur de France 2011), La liste de mes envies et L’enfant réparé.
- Il habite une partie de l’année en France et une autre à New York.
- Il aime beaucoup rencontrer ses lecteurs québécois.
«Je veux faire de toi l’homme d’un livre comme on fait l’enfant d’une guerre.»
– Grégoire Delacourt, Polaroids du frère, Éditions Albin Michel
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