Grand Prix et prostitution: son rabatteur sur le site même de la F1 pour lui envoyer des clients


Maria Mourani
Notre chroniqueuse Maria Mourani est criminologue, sociologue et présidente de Mourani-Criminologie. Spécialisée dans les gangs de rue, le crime organisé, la traite des personnes et l’exploitation sexuelle, elle suit de près les activités illicites en marge du Grand Prix de Montréal.
Depuis des années, les organisateurs du Grand Prix de Montréal se lavent les mains des activités de proxénétisme qui gravitent autour de leur événement. Leur ligne est claire: les proxénètes seraient à l’extérieur, et se contenteraient de profiter de l’occasion. Pas leur faute. Pas leur problème.
Pourtant, Billy (non fictif) me raconte une tout autre réalité. J’ai longuement discuté ces derniers jours avec elle qui a accepté que je vous rapporte son témoignage, en taisant son identité pour s’éviter des représailles.
Depuis des années, elle reçoit des touristes directement du site du circuit du Grand Prix. Elle en témoigne, il ne s’agit pas de rumeurs. Des clients en chair et en os, envoyés directement depuis l’événement par un rabatteur.
Billy se prostitue depuis l’âge de 27 ans dans Hochelaga-Maisonneuve. Elle cumule en moyenne sept ans de prostitution, entrecoupés de périodes d’accalmie.
Son milieu, c’est la rue et les motels. Avant, elle travaillait comme conseillère financière dans une compagnie d’assurance.
Sa chute
Sa chute, elle s’en souvient très bien. Après sa première injection de cocaïne, elle commence à se prostituer une semaine plus tard. Elle fait partie de celles qui se prostituent pour payer leur consommation.
«C’est un cercle vicieux. Ici, beaucoup de filles se prostituent pour consommer. Pis, un moment donné, on consomme pour se prostituer, parce que notre corps nous lâche.»
Billy souligne qu’elle fait partie de la minorité qui n’a pas commencé à 13 ans.
«Les filles que je connais ou que je connaissais ont toutes commencé à 13-14 ans. J’en ai connu une ou deux dans la vingtaine.»
Billy n’a pas de proxénète. Du moins, pas au sens classique du terme.
Elle commence par me dire qu’à Hochelaga, les filles sont «autonomes». Elles gèrent leurs affaires elles-mêmes. Pas de pimp tapi dans l’ombre.
Rapidement, elle nuance: les chums et les vendeurs de drogue font office de proxénètes.
«C’est pas comme si on se faisait pimper. Mais quand ils nous demandent d’aller travailler, ben les piaules [crack house] se vident vite.»
Ces hommes-là n’ont pas besoin de frapper ou de menacer. La dépendance et la peur du manque font le travail à leur place.
Billy me parle aussi du dégoût des hommes, ancré, profond.
«Je [ne] connais aucune fille qui fait ça pour le fun. C’est [pour] toutes un besoin de consommer pis d’avoir de l’argent.»
Un client devenu rabatteur
Quand le Grand Prix débarque en ville, Hochelaga change de rythme, raconte Billy. L’effervescence est immédiate. Les prostitueurs (clients) affluent.
Billy navigue entre la rue, les motels et les bars. Pas besoin de courir après les clients: ils viennent à elle. Le flot est constant.
Et puis, il y a Carl, un ancien client converti en rabatteur, dont nous taisons le véritable nom.
Pendant le Grand Prix, Carl se pointe sur le site. Il repère les touristes, les approche, les aiguille. Direction Hochelaga. Filles et substances à volonté. Moyennant une jolie cote, évidemment.
Tout le monde semble y trouver son compte.
Tout le monde, sauf celles qui paient de leur corps. Comme Billy qui voudrait s’en sortir, mais ne sait pas comment.