Grand Prix du Canada: l’anglais prime à travers les équipes... même chez les francophones
Après les gaffes de 2018 et 2019, le français recule encore en 2024
Mylène Richard et François-David Rouleau
Pas facile d’échanger en français avec des pilotes francophones au Grand Prix du Canada. Le cirque de la Formule 1 a beau être débarqué à Montréal, une ville majoritairement francophone, et au Québec, une province francophone, l’anglais est roi et maître chez les écuries.
Poser une question dans la langue maternelle d’Esteban Ocon, un Français qui porte les couleurs d’Alpine, une équipe française, ou à son coéquipier et compatriote Pierre Gasly, est comme faire un pacte avec le diable.
En point de presse avec les scribes au quartier général du «A fléché», Ocon a regardé jeudi le journaliste québécois qui venait de lui poser une question en français avec les yeux d’un chevreuil figé devant les phares d’une voiture sur l’autoroute en pleine nuit.

Sur le plateau de la conférence de presse de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) où six pilotes étaient réunis, le responsable des communications a une fois de plus rappelé la règle d’y utiliser uniquement l’anglais lorsqu’un reporter d’un réseau local a questionné Gasly dans la langue de Molière.
Prenant des allures d’un signaleur aérien sur un tarmac d’aéroport, il a lancé: «No, no, no, questions in English please».
Toujours pareil
En 2018, Le Journal avait semé l’émoi lors de la même conférence de presse d’ouverture en posant une question en français au pilote Lance Stroll. La FIA s’était par la suite excusée, mais elle tient mordicus à ce que ses événements se déroulent en anglais, langue comprise partout dans le monde, sur son signal international.
L’année suivante, un journaliste radiophonique avait voulu poser des questions à Gasly, alors chez Red Bull, dans sa langue maternelle. La relationniste avait alors refusé.
- Écoutez la discussion d’Alexandre Dubé avec la journaliste Annabelle Blais via QUB :
Avance rapide à la première journée d’activités au circuit Gilles-Villeneuve cette année, cinq ans plus tard. Force est de constater que rien n’a changé. La situation a même empiré.
Impossible de discuter en français avec le Monégasque Charles Leclerc au QG de Ferrari. Ces rencontres sont pourtant chaleureuses et souvent tenues autour d’une table, où journalistes et pilotes sont assis côte à côte. On est très loin d’une froide conférence de presse avec un modérateur.

Pourtant, Leclerc avait discuté en français avec les médias francophones à Monaco, lors de son triomphe il y a deux semaines. Et quand Carlos Sainz est de passage en Espagne, il peut s’exprimer en espagnol.
Mais à Montréal, les écuries ne font preuve d’aucune flexibilité, surtout avec la presse écrite. Car les diffuseurs officiels ont la chance d’avoir des entrevues exclusives dans la langue désirée.
Limite de temps
Dans les paddocks, des relationnistes tant chez Alpine que chez Ferrari ont expliqué que cette décision dépend de la disponibilité de chaque pilote. Avec des horaires chargés, les entrevues sont d’une durée chronométrée de 10 minutes. L’anglais serait donc devenu la règle, même si elle n’est pas écrite...
Sous le parasol d’Alpine, celle-ci fait rager les journalistes de l’Hexagone. L’écurie ne voudrait plus que ses deux pilotes français s’adressent dans leur langue aux journalistes français. On voit ici toute l’ironie de la situation. Les médias se battent d’ailleurs depuis le début de la saison avec la direction à ce sujet.
Hormis quelques exceptions évidentes ici et là pour la radio et la télévision, ont raconté nos collègues, tout se passe en anglais. Ce qui n’a aucun sens à leurs yeux. Mise devant l’évidence, une représentante de l’écurie a néanmoins mentionné qu’elle porterait une attention particulière aux demandes francophones ce week-end.

Chapeau toutefois à l’écurie Aston Martin, qui a rendu disponible le Montréalais Lance Stroll aux médias canadiens et francophones, jeudi en fin de journée, aux abords du circuit Gilles-Villeneuve. Ce fut l’exception à la règle.
L’organisation du Grand Prix du Canada n’y peut rien. Ses panneaux de signalisation sont en français tout comme ses communications. Elle a même spécifiquement demandé à ce que les menus du Paddock Club soient affichés dans les deux langues, cette année.


La FIA, dont le siège est à Paris, n’a pas plus de pouvoir sur les stratégies décisionnelles des écuries qui rendent leurs pilotes disponibles à leur QG, derrière les garages et dans les zones officielles après les séances sur la piste.
C’est une autre belle occasion loupée de respecter la culture et la diversité au calendrier de la F1. Les Espagnols ne permettraient pas pareil affront à Barcelone. Ni les Italiens à Imola et Monza.