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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Extraits exclusifs de sa biographie : Ginette Reno rejetée par un garçon à cause de son poids à 11 ans

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Photo portrait de Bruno Lapointe

Bruno Lapointe

2023-04-01T04:00:00Z
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L’attente tire à sa fin pour les fans de Ginette Reno; ils pourront enfin se procurer l’autobiographie de leur idole à compter de jeudi dans les magasins Jean Coutu, quelques librairies et sur ginettereno.com. 

• À lire aussi - «J’ai encore le feu sacré»: à 76 ans, Ginette Reno est loin de la retraite

En attendant, Le Journal vous propose cinq extraits exclusifs du livre.

Photo fournie par la maison d’édition
Photo fournie par la maison d’édition

Marie Noëlla Ginette Raynault Reno 

Née Ginette Raynault, la chanteuse est devenue Ginette Reno tôt dans sa carrière. Deux noms, deux identités pour mieux cerner la femme et l’artiste. 

Photo d’archives, Normand Pichette
Photo d’archives, Normand Pichette

«Marie Noëlla Ginette Raynault. 

C’est moi.
Enfant mal aimée. Fille d’une mère possessive et jalouse, qui n’a d’amour que pour son mari, son héros, qui ne cessera de la décevoir. Un homme bon, mais un enfant face à la vie, qui ne résiste pas à une jolie femme et qui perd la tête et la santé dans l’alcool.  

Ginette Raynault.
C’est moi, encore, avec deux frères et deux sœurs aussi déficients que moi, élevée dans une maison où règne la violence, verbale et physique, qui vivrai toute une vie avec des centaines de peurs gravées dans le cœur.
Et c’est toujours moi : femme, épouse, divorcée, mère. Aux bonheurs variables comme les chiffres de mon pèse-personne.  

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Ginette Reno.
C’est aussi moi.
Qui porte le nom de scène que mon imprésario, Jean Simon, m’a donné. (Avant lui, je m’étais baptisée “Sylvia Roger”... Un nom très star de cabaret.) “Ginette Reno” : un nom simple, facile à retenir. La Ginette que vous connaissez. L’artiste. La chanteuse, l’autrice-compositrice. L’actrice.
La Reno des grandes scènes, des premières pages. D’un succès qui ne faiblit pas. Qui mène un train de vie de star.  

Ginette. Tout court.
Mon alter ego.
Mon âme sœur.
Ouverte et généreuse. Qui me protège et me console.
Celle qui vit derrière l’autre. Qui voit tout. Qui ressent tout.
Qui connaît les tricheurs. Les faux-amis. Les voleurs de temps et d’amour.  

Les excès. Les chagrins. Les trahisons. Les désespoirs.
Mais aussi les moments privilégiés. Les rencontres émerveillées.   

L’effervescence de la création. La joie plus grande que nature. Ginette.
Celle que je viens vous présenter aujourd’hui.  

Pour que vous puissiez savoir. Et comprendre.  

Et m’aimer ! » 


Une grosse toutoune 

La vie amoureuse de Ginette Reno n’a jamais été simple. Elle se remémore ici son premier béguin pour un garçon qui l’a ultimement rejetée en raison de son poids.  

Photo d’archives, Raymond Bouchard
Photo d’archives, Raymond Bouchard

«Il s’appelait Jacques. J’avais onze ans. Lui... peut-être douze.
Chaque fois que je le voyais, je ressentais un petit quelque chose... Comme si mon cœur oubliait de battre, une fraction de seconde, pendant laquelle j’espérais de toutes mes forces que le beau garçon se tourne vers moi. Que nos regards se croisent. Qu’il me sourie... Mais non.
Rien. 

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Alors, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai dit, le plus clairement possible, que je le trouvais “bien à mon goût” et que je serais heureuse de “sortir avec lui”.
Il m’a répondu, tout aussi clairement, que les grosses toutounes ne l’intéressaient pas. 

Et il a gentiment ajouté, serviable comme tout : “Mon frère Gérald, lui, ça le dérange pas, les grosses.”  

Je n’ai jamais oublié cette première “amourette”. Ni ce premier rejet. Parce que c’était la première fois que j’étais malheureuse à cause de mon poids.  

Peut-être aussi parce que c’était la première fois que je décidais d’aller vers un garçon de mon âge. Je préférais de beaucoup la compagnie des adultes. Avec les jeunes, je me sentais à part, je n’arrivais pas à m’intégrer à leurs jeux, à leurs conversations. À leur insouciance, à leur légèreté. Comme si j’avais su, déjà, que la vie est un combat et que la victoire se mérite.  

Et puis, toutes ces livres en trop, c’était assez récent. Je n’avais tout simplement pas encore réalisé que j’étais devenue une grosse toutoune. Jusqu’à neuf ans, j’avais eu le corps d’une enfant parfaitement normale. Jusqu’à ce que mes premières menstruations bouleversent mon existence.  

Beaucoup trop tôt.  

À dix ans, je pèse cent soixante-douze livres ! J’ai un problème endocrinien et je suis indisposée toutes les deux semaines.  

En fait, c’est une maladie, le syndrome de Stein-Leventhal, qui est responsable de multiples désagréments étranges... » 


La Saint-Jean sur la montagne

La soirée du 24 juin 1975 restera à jamais gravée dans la mémoire de Ginette Reno. C’est à ce moment que la chanteuse a livré une de ses plus inoubliables performances, récompensée d’une ovation de 11 minutes. 

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«Je venais de terminer un engagement au Royal York de Toronto, un club mythique où se succédaient les plus grandes stars internationales, y compris certaines de mes idoles, comme Tony Bennett et Ray Charles.  

Après une longue nuit de route, j’étais arrivée tôt à Montréal, à temps pour les répétitions du grand show de la Saint-Jean, qui aurait lieu le soir même, sur le mont Royal. Je n’avais pas dormi depuis trente-six heures. 

(....)

J’ai une grande confiance dans la chanson Un peu plus haut, un peu plus loin, que j’ai finalement obtenu le privilège d’interpréter, grâce à la gentillesse de Renée Claude, qui devait initialement la chanter elle-même. Je lui en serai toujours reconnaissante.  

Le soir venu, je fais les cent pas derrière la roulotte qui sert de loge aux artistes, perdue dans mes pensées, toutes plus négatives les unes que les autres, quand je vois Yvon Deschamps qui s’approche. Yvon est un monologuiste extraordinaire, unique, à la fois drôle et émouvant, dont l’art “engendrera” des centaines d’humoristes qui tenteront de suivre ses pas. Artiste sensible lui-même, il voit bien que quelque chose ne va pas... 

«Qu’est-ce qui se passe, ma Ginette ?»  

Il n’en faut pas plus pour que je lui raconte tout, ma peine, mes inquiétudes... en pleurant comme une enfant. Il m’écoute en silence, jusqu’à ce que je me calme un peu, puis il lance : “Eh ben, moi, ce soir, je suis venu pour t’entendre, juste toi !”  

Quand je monte sur scène, ce 24 juin 1975, je suis la chanteuse professionnelle heureuse de faire son métier, l’artiste émue de revenir chez elle, l’amie qui chante pour Yvon, la star qui porte le poids d’un incompréhensible désespoir, la femme qui accouche d’une asphyxiante colère, mordant dans chaque mot, articulant chaque syllabe, comme si elle justifiait sa vie entière.  

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Et le public voit tout ça, comprend tout ça, et pleure avec moi quand je crie les dernières notes de ma chanson. La communion dont je rêvais, je l’ai ! Nous ne sommes plus qu’une même boule d’émotion et d’amour ! Plus de trois cent mille personnes dont le cœur vibre au même diapason.   

J’ai droit à une ovation qui n’en finit pas !   

ONZE minutes !   

Aucun artiste n’est préparé pour ça !   

*** 

Le lendemain, je suis en première page de tous les journaux. Des extraits de MA chanson sont diffusés à tous les bulletins de nouvelles, de toutes les chaînes radio et télé.   

On parle de “triomphe”, de “jamais vu”.   

D’une foule “innombrable” et “conquise”.   

Et de “fierté”.   

Je garderai à jamais ce jour de juin 1975 dans ma tête et dans mon cœur. C’est un des plus beaux moments de ma carrière. Je sais aussi que, ce soir-là, pour plusieurs, la chanteuse populaire a changé de statut. On a reconnu mon talent d’interprète. » 


Ginette Cadieux 

En parallèle à sa carrière de chanteuse, Ginette Reno a défendu plusieurs rôles au grand écran. Parmi ceux-ci, elle se souvient de celui de Laura Cadieux dans l’adaptation cinématographique de l’œuvre de Michel Tremblay, réalisée par celle qu’elle rebaptise « l’ouragan » : Denise Filiatrault. 

Photo d’archives
Photo d’archives

«J’ai assisté à la première de C’t’à ton tour, Laura Cadieux avec fierté.   

J’aime les personnages de Michel Tremblay. La musique de François Dompierre. La belle chanson du générique. Et Ginette Reno qui, pendant deux heures, se prend pour Laura Cadieux, au point de lui ressembler comme une sœur jumelle.   

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C’est un joli film.   

Plein de merveilleux acteurs, dirigés par une femme de talent, Denise Filiatrault.  

Mais, je sais qu’au début du projet, quand Denise Robert, la productrice, a suggéré mon nom pour interpréter la grosse femme de Tremblay, Denise, la réalisatrice, s’est emportée en répétant que son premier choix était Manon Gauthier, qui jouait déjà Laura Cadieux au théâtre. Un choix que je n’ai jamais contesté, au contraire. La productrice a insisté.   

La réalisatrice, convaincue que je n’avais rien d’une actrice (malgré Léolo et un parcours pour le moins... éclectique, qu’elle connaissait parfaitement...), a exigé que je passe une audition, pour laquelle j’ai reçu le texte la veille. J’ai travaillé toute la nuit pour le mémoriser. Au matin, j’étais épuisée, mais j’ai eu le rôle. On ne m’a pas fait de faveur.   

Je connais Denise Filiatrault depuis toujours. Nous sommes toutes les deux Taureau, ascendant tête de cochon. (...) 

Avant de commencer le tournage, elle m’a parlé des cinq niveaux d’interprétation qu’un acteur doit connaître. Je l’ai tout de suite rassurée : c’est la même chose quand on chante !   

Un matin, très tôt, vers cinq heures peut-être, nous sommes quelques comédiennes en train de répéter lorsque l’ouragan Denise se pointe, l’humeur dévastatrice. Tout le monde tremble. Pas moi. Je la rejoins à son niveau : “C’est pas un peu tôt pour le niveau sept ? Tu ne m’as pas dit qu’il y en avait cinq ?” Denise nous a aussitôt demandé de l’excuser, et elle est sortie. Quand elle est revenue, nous avons tous répété dans le calme, au niveau un.  

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J’ai appris des pages de texte qu’on n’a jamais utilisées. Je travaille comme je mange : à outrance. Et je tiens à connaître les motivations de mon personnage et mes répliques sur le bout des doigts. Par respect pour la réalisatrice, qui peut dès lors nous amener à interpréter notre rôle comme elle l’entend.   

Devant certaines situations rencontrées dans le scénario, certains sentiments qui semblaient appartenir autant à Ginette qu’à Laura, je demandais parfois à Denise la permission de tenter quelque chose de plus personnel, de prendre des risques, devant la caméra, ce qu’elle avait accepté avec joie. Mais pour l’autre Denise, c’était comme si j’avais voulu diriger à sa place.  

Elle me lançait : “Vas-y, tabarnak !”, en levant les yeux au ciel, exaspérée.   

(...) 

J’ai quand même reconnu, ici et là, en voyant le film, certaines de mes idées que Denise avait retenues. Ma confiance en moi, comme comédienne, a beaucoup grandi.  

Je termine en disant que j’ai toujours beaucoup d’admiration pour Denise Filiatrault. Je n’en dirai pas trop. Ce serait répéter ce que tout le monde pense d’elle. » 


Mon suicide (monologue) 

Ginette Reno s’ouvre sur un épisode dépressif au cours duquel Lise Payette l’a aidée à chasser ses idées noires. 

Je vis une période dépressive.
Je téléphone à Lise Payette, ma grande amie. Je suis certaine qu’elle va pouvoir me comprendre.  

Je lui annonce que je vais me flanquer une balle dans la tête, que j’ai juste envie de mourir !  

Je l’entends encore au bout du fil :
“Ah non !
Il va y avoir du sang partout !
C’est tellement difficile d’enlever des taches de sang !
Tu le sais : quand ton linge est taché... c’est pas évident !
Et puis... il va falloir fermer le cercueil !
Y a des gens qui t’aiment, qui t’adorent !
Ils veulent te voir une dernière fois dans ta tombe, pas sur une photo !  

Fais pas ta tragique. Fais-le, mais plus doucement. Prends des pilules ! Assieds-toi devant la télé. Ou lis un livre que tu aimes !” 

À la suite de tout ce qu’elle m’a dit, j’avais plus envie de me suicider. » 

►Ginette chantera à l’occasion de la grande finale de La Voix, le week-end prochain. Elle y interprétera pour la première fois à la télé la pièce Plus grand, tirée de son nouvel album, en compagnie des quatre finalistes de cette année. Diffusion : dimanche 9 avril, 19 h 30, sur les ondes de TVA 

Dans une rencontre-événement avec Paul Arcand, Ginette Reno racontera les moments marquants de sa carrière et de sa vie personnelle, d’hier à aujourd’hui, en plus d’y interpréter quelques chansons du nouvel album et certains de ses plus grands succès. Diffusion : dimanche 16 avril, 19 h 30, sur les ondes de TVA 

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