Funérailles nationales: l’hommage qui s’impose à Guy Rocher

Claude André, Enseignant en science politique
Figure majeure de la Révolution tranquille, Guy Rocher a marqué l’histoire du Québec par son rôle dans le rapport Parent, la création des cégeps et la modernisation de l’État. Son départ à 101 ans appelle un geste de reconnaissance collective: des funérailles nationales.
Le Québec vient de perdre l’un de ses plus grands intellectuels, un bâtisseur de notre modernité collective: Guy Rocher. Sociologue, signataire du rapport Parent, il a contribué de façon décisive à la Révolution tranquille en repensant l’éducation, en favorisant la laïcité et en dotant notre société d’institutions fortes, au service de l’égalité et de la connaissance. Son décès appelle, de toute évidence, à des funérailles nationales.
Le legs d’un réformateur
Avec le rapport Parent, Guy Rocher a façonné l’un des joyaux du Québec: le cégep. Cette innovation unique au monde a ouvert l’accès aux études supérieures à des générations entières. Le cégep n’est pas une simple institution scolaire: il est un projet de société, né du rêve de démocratiser le savoir et de former des citoyens libres et éclairés. Parallèlement, Guy Rocher a participé à la construction d’une fonction publique moderne, compétente et professionnelle, un appareil d’État dont nous pouvons encore aujourd’hui nous enorgueillir. Ce travail de fond, moins spectaculaire que les grands discours, a donné au Québec les moyens d’assumer pleinement son destin.
L’héritage inachevé
Lucide, Guy Rocher ne s’est jamais contenté de célébrer les acquis de la Révolution tranquille. L’un de ses plus grands regrets, qu’il a exprimé à maintes reprises, fut de n’avoir pas eu la persévérance d’insister pour que la loi 101 s’applique au cégep. Il savait que la défense et la promotion du français passent aussi par ce niveau d’enseignement, où se joue une part essentielle de la cohésion nationale. Son départ est une occasion de rouvrir ce débat et de prolonger son œuvre. Intégrer la loi 101 au cégep, c’est achever le chantier qu’il avait amorcé: garantir au Québec une éducation de qualité, publique, laïque et francophone.
Un homme d’une humanité rare
Au-delà de l’intellectuel, c’est l’homme que je veux saluer. J’ai eu le privilège de l’inviter au cégep en 2017 pour brosser un bilan du Printemps érable. À plus de 93 ans, il avait impressionné tout le monde par sa gentillesse, sa clarté et son irréductible pertinence. Étudiants comme collègues avaient été marqués par son humour discret, sa douceur et sa capacité à transmettre des idées complexes avec des mots simples et justes. Cette rencontre, je ne l’ai jamais oubliée. Elle disait tout de ce qu’il était: un pédagogue hors pair, un citoyen engagé, et surtout un être profondément humain.
Pour des funérailles nationales
Le Québec a déjà accordé des funérailles nationales à des figures du sport, de la culture et de la politique. Guy Rocher appartient à cette lignée de grandes consciences. Honorer sa mémoire, ce n’est pas seulement saluer son œuvre passée: c’est réaffirmer l’importance de l’éducation, de la langue française, de la laïcité et de la justice sociale dans notre avenir collectif. Accorder des funérailles nationales à Guy Rocher, c’est dire à la jeunesse et au monde qu’un intellectuel peut changer le cours d’une société. C’est reconnaître qu’un manuel de sociologie, une conférence au cégep, un rapport d’État peuvent transformer un peuple. Guy Rocher s’est éteint à l’âge vénérable de 101 ans. Comment ne pas y voir un clin d’œil de l’histoire, lui qui avait tant regretté que la loi 101 ne s’applique pas au cégep?
Comme si le temps lui donnait, à sa manière, raison.
Claude André
Enseignant en science politique
Cégep de Rosemont