Freiner la construction des écoles au Québec: lettre à ma filleule qui rêve d’aller à son école de quartier


Shophika Vaithyanathasarma
Ma belle cocotte,
Tu me dis souvent que tu as hâte de commencer l’école des grands, parce qu’elle est juste à deux rues de la maison. Tu t’imagines déjà retrouver tes amis dans la cour, apprendre et participer aux activités parascolaires. Tu es souvent nostalgique de moments que tu n’as pas encore vécus, on t’aime comme ça.
Aujourd’hui, je dois te parler d’une réalité que vivent présentement des milliers d’autres amis qui vont parfois très loin pour aller à l’école. Le journaliste Zacharie Goudreault a rapporté hier dans Le Devoir que le gouvernement avait suspendu 99 projets d’ajout d’espaces, un peu partout au Québec. Pourquoi? Pour respecter un cadre budgétaire devenu trop serré.
Écoles riches en histoire, pauvres en ressources
Il y a des écoles magnifiques, centenaires, qu’on qualifie de patrimoniales, comme l’Académie de Roberval ou l’école FACE. L’Académie a été vidée de ses élèves en 2017, et elle attend toujours d’être rénovée. L’école FACE, pour sa part, a même été mise en vente, parce que ses rénovations étaient jugées trop coûteuses. Pourtant, ces écoles et bâtiments font partie de notre mémoire collective. Et ce n’est pas seulement à Montréal que ça se passe, des projets sont mis sur pause ailleurs en Montérégie et dans la Capitale-Nationale.
Curieuse comme tu es, tu te demandes pourquoi on ne rénove pas plus vite pour que tous les amis puissent apprendre dans de bonnes écoles. Pourquoi on attend? Je n’ai pas de réponse complète pour toi, ma chérie. Mais je sais que le gouvernement va essayer de se dédouaner en pointant du doigt les amis venus d’ailleurs, en affirmant qu’ils sont trop nombreux. Et c’est eux qui ont fait exploser les besoins de places! Les partis d’opposition remettront les choses en perspective, en soulignant que la véritable pression reposera sur les municipalités, qui devront accueillir plusieurs jeunes familles – sans préciser leurs origines – dans leurs quartiers.
Je vois ton impatience, c’est vrai, il faut rénover plus vite, car chaque année de retard augmente les coûts. Le Devoir rapporte qu’à Montréal, un agrandissement d’école mis sur pause en 2022 a coûté 20 000$ de plus juste pour relancer les appels d’offres en 2024... avant d’être encore interrompu.
Tous s’entendent pour dire qu’il faut agir maintenant. Ce qu’on oublie souvent, c’est qu’en repoussant ces projets, on paie plus cher plus tard. Et pas seulement en appels d’offres. On paie en décrochage scolaire, en anxiété chez les jeunes, en inégalités qui s’installent. Offrir un lieu d’apprentissage adéquat, ce n’est pas une dépense, c’est un investissement dans notre relève.
Le coût des écoles temporaires
Pendant ce temps, des élèves sont déplacés dans d’autres quartiers ou dans des classes modulaires qui coûtent des millions. Ces installations sont temporaires, mais elles empiètent sur d’autres espaces comme les bibliothèques. Les enseignants, eux, font de leur mieux. Mais même avec tout l’amour du monde, ce n’est pas facile d’enseigner quand il fait trop chaud, trop froid. Et ce n’est pas juste une question de confort: c’est toute la qualité de l’apprentissage qui en souffre.
Heureusement, il y a aussi des histoires douces-amères. Des parents, des enseignants et des élèves qui se mobilisent pour sauver leur école. C’est le cas de l’école FACE.
C’est grâce à eux – et à toi, mon amour – que je garde espoir.
Tu fais déjà partie de cette grande histoire avec ton désir de justice et de partage. Parce que rêver à ton école de quartier, c’est croire qu’elle est possible. Et c’est en gardant vivants ces rêves-là qu’on finit par les construire – réellement.