Fraudes amoureuses: un escroc aux multiples fausses identités a été condamné pour avoir floué des romantiques esseulés pour plus de 230 000$
On laissait miroiter aux victimes une relation passionnelle, afin de leur soutirer leurs économies

Valérie Gonthier
Une simple enquête de fraude amoureuse à Saint-Jean-sur-Richelieu a mené à l’arrestation d’un escroc aux multiples identités fabriquées. Il vient d’être condamné pour avoir floué pour plus de 230 000$ des romantiques esseulés aux quatre coins de la province, ainsi qu’en Ontario, mais on craint que son stratagème ait pu générer des millions de dollars à un vaste réseau de fraude.
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À l’été 2022, Julie (nom fictif) s’est amourachée d’un bel homme rencontré via Instagram: Francis Gauthier, originaire de Trois-Rivières, mais résident de la France.
Pendant des semaines, ils ont appris à se connaître à travers du clavardage et quelques conversations vocales. La femme dans la cinquantaine est rapidement tombée follement amoureuse, même si elle n’avait jamais vu Francis en vidéo.
Si bien que lorsque l’homme a prétendu être en prison en Côte d’Ivoire, là où il disait s’être rendu pour récupérer l’héritage de son père décédé, elle a tout fait pour le sortir de sa misère.
En quelques mois à peine, elle lui a transféré plus de 90 000$.
Mais les sommes astronomiques qu’elle envoyait n’aboutissaient pas dans le compte de son amoureux virtuel. La raison est simple: il n’existe pas.
- Écoutez l'entrevue avec François Renaud, psychothérapeute et sexologue au micro d’Alexandre Dubé via QUB :
Le percepteur
Elle était la victime d’une fraude amoureuse. On avait laissé miroiter une relation passionnelle, dans l’unique but de la plumer.
C’est plutôt un homme qui résidait à Longueuil qui empochait le magot.
Sal-Wane Adewale Ibikounle, accusé de fraudes, a reconnu sa culpabilité la semaine dernière au palais de justice de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Fait particulier: l’accusé de 29 ans n’était pas l’auteur des mots doux envoyés à sa victime. Ibikounle agissait comme un percepteur, soit celui qui ouvre les comptes bancaires et récupère l’argent.
Par ailleurs, les autorités ont des raisons de croire que le vaste réseau de fraudeurs à l’étranger auquel prenait part Ibikounle pourrait avoir fait plusieurs autres victimes et les dommages pourraient même atteindre les millions de dollars.
«J’ai vu la liste des transactions et c’est clair qu’il y a d’autres victimes, soit qu’on n’a pas pu identifier ou qui ont trop honte pour parler», a insisté le sergent-détective François Essiembre, de la police de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Aussi, des victimes ont viré des sommes qui avaient été versées dans des comptes bancaires n’impliquant pas l’accusé.

De faux passeports
Malgré tout, ce dernier a été le seul à se faire coincer. L’enquêteur Essiembre avait pu retrouver, en Afrique, les adresses IP utilisées pour la fraude, sans toutefois être en mesure d’identifier les réels voyous derrière l’écran.
Ibikounle avait pris la peine de brouiller les pistes. Les comptes dans lesquels l’argent était versé avaient été ouverts au Québec, avec de faux passeports étrangers.
Il a finalement pu être identifié parce qu’il a été filmé en train de faire des retraits bancaires. Un échange entre différents corps de police a permis de relier Ibikounle à quatre autres dossiers qui ont fait l’objet d’une enquête ailleurs. Trois de ces cas étaient des fraudes amoureuses, dont celui d’une femme qui a versé une somme de 189 000$.

Signal d’alerte
À la retraite, la femme avait ensuite été forcée de retourner sur le marché du travail, en plus de devoir reprendre à la maison son mari handicapé qu’elle ne pouvait plus placer faute de sous, a résumé la procureure de la Couronne, Me Corinne Girard.
«Les victimes doivent se protéger. Ce n’est pas normal de demander de l’argent à quelqu’un qu’on vient de rencontrer, cela devrait être un signal d’alerte pour mettre fin à la relation», a-t-elle averti.
Sal-Wane Adewale Ibikounle, détenu depuis son arrestation en août dernier, a écopé d’une peine de 21 mois de détention. À sa sortie de prison, l'homme originaire du Bénin sera vraisemblablement expulsé du Canada, où il espérait pourtant faire sa vie, a indiqué son avocat, Me Samuel Mcauliffe.
«J’aurais aimé qu’il soit réel»
Même après avoir constaté que celui dont elle s’était entichée avait été inventé de toute pièce que pour la flouer, Julie a continué à maintenir le contact.
«Ç’a pris du temps avant de le bloquer, j’aurais aimé qu’il soit réel, j’avais un espoir qu’il retontisse», avoue candidement la quinquagénaire.
Elle a accepté de raconter son histoire au Journal, à condition qu’on taise son identité.
«J’ai honte, beaucoup!», lance-t-elle.
Si elle a consenti à verser de l’argent à un homme à peine rencontré qui était en voyage en Côte d’Ivoire, c’est d’abord parce qu’elle l’aimait et qu’elle voulait l’aider pour qu’il vienne plus rapidement à sa rencontre. Mais aussi parce qu’elle croyait sincèrement être remboursée, puisqu’il disait aller récupérer un héritage de plusieurs millions de dollars.
Menacée
Mais elle s’est rapidement retrouvée à sec. Elle a ainsi menti à sa mère et sa fille pour leur emprunter de l’argent.
Elle s’est résignée à vendre sa moto qu’elle adore pour continuer à envoyer des virements.
Lorsqu’elle a cessé d’envoyer des sous, les menaces ont débuté. On lui a exhibé un montage d’images sexuelles qu’elle avait envoyées à Francis Gauthier.
Sal-Wane Adewale Ibikounle, qui a reconnu avoir fraudé Julie, n’était pas celui derrière le profil de Francis Gauthier, a révélé l’enquête.

«Francis Gauthier a même continué à communiquer avec elle, et ce, jusqu’à tout récemment. La manipulation continue, sans que de l’argent soit demandé», a résumé Me Corinne Girard, de la Couronne.
Julie aurait aimé que les autorités aient pu passer les menottes à celui qui a joué avec ses sentiments.
Par ailleurs, toujours la cible de messages d’inconnus pour l’amadouer, elle avoue y répondre encore parfois. Pour tester jusqu’où les escrocs iront, mais secrètement aussi pour ne pas fermer la porte à l’amour véritable, s’il se présente, dit-elle.
Par contre, plus jamais elle ne va envoyer de l’argent.
Remboursements
«J’ai trop chèrement payé», a dit la femme qui a dû travailler sept jours sur sept pour essuyer ses dettes.

Ce qui la console, c’est qu’elle récupérera 90 000$ grâce à l’argent retrouvé chez l’accusé et les montants saisis dans ses comptes bancaires.
Les autres victimes aussi seront remboursées, selon ce qu’on sera en mesure d’associer à l’accusé. La victime ontarienne, qui avait versé 189 000$, ne touchera même pas la moitié de sa fortune perdue.
Les victimes de Sal-Wane Adewale Ibikounle
Julie (nom fictif), Saint-Jean-sur-Richelieu: 90 000$
Veuve
Rencontre Francis Gauthier sur Instagram
Durée de la fraude: environ cinq mois
Prétextes du fraudeur pour lui demander de l'argent:
- Dit se rendre en Côte d’Ivoire pour récupérer un gros héritage
- Ses comptes sont gelés, il est incapable de payer son hôtel
- Doit payer le notaire pour protéger l’héritage
- Incapable de payer les impôts en Afrique
- S'est fait arrêter en Afrique
Femme de l’Ontario: 130 000$
La victime s’occupe d’un mari lourdement handicapé
Rencontre sur Tinder
Prétextes du fraudeur pour lui demander de l'argent:
- Doit se rendre au Maroc pour le travail
- Victime d’un grave accident de la route
- Besoin d’argent pour payer les médicaments et les chirurgies
- Incapable de payer pour les hôtels
Homme de Roberval: 4000$
Victime sur l’aide sociale
Rencontre une Mme Ratté via l’application Facebook
Débute une relation virtuelle
Durée de la fraude: environ deux mois
Prétextes du fraudeur pour lui demander de l'argent:
- Dis avoir obtenu un héritage de 3,9 M$ en Suisse
- Dit avoir besoin d’aide pour aller chercher l’héritage
Homme de Granby: 8500$
Rencontre deux filles via l’application de rencontre sur Facebook, qui utilisaient de faux profils
Prétextes du fraudeur pour lui demander de l'argent:
- Demandent d’acheter des cartes «Vanille» (cartes de crédit prépayées)
- Offrent en échange des discussions érotiques
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