Visages de notre histoire: Frantz Jéhin-Prume, la musique d’une belle époque

Centre des Mémoires Montréalaises
DE LA BELGIQUE À MONTRÉAL
L’histoire de la musique au Québec recèle des trésors anciens malheureusement peu fréquentés de nos jours. Au sein des cercles artistiques et littéraires canadiens-français de la fin du 19e siècle, on se souvient de Louis Fréchette, de Calixa Lavallée, d’Arthur Buies... Tous furent amis et collaborateurs de Frantz Jéhin-Prume (1839-1899), violoniste de talent, que rien ne destinait à s’installer au Québec. Né à Spa, en Belgique, il commence l’étude du violon dès l’âge de quatre ans. Adulte, il enchaîne les tournées européennes et américaines, ce qui le mène en villégiature à Montréal en 1865. Le milieu musical de l’époque, des Jésuites à Calixa Lavallée, le prie de se produire dans les salles montréalaises. Il est accueilli au Gésu, à la salle Nordheimer et au Mechanic’s Hall. Il rencontre alors une jeune cantatrice qui deviendra sa femme en 1866, Rosita Del Vecchio. Leur mariage, qui remplit l’église Notre-Dame, et leurs succès en tournée nord-américaine convainquent Jéhin-Prume de s’installer à Montréal.
ROSITA DEL VECCHIO, PARTENAIRE À LA SCÈNE ET À LA VILLE

Rosita Del Vecchio, née à Montréal en 1846, descend d’une famille d’origine italienne arrivée à Montréal à la fin du 18e siècle. Dotée d’une voix de mezzo-soprano remarquable, elle était aussi douée pour le jeu et la tragédie. Elle acquiert même le surnom de « Sarah Bernhardt du Canada », un compliment qui a dû valoir son pesant d’or à l’époque où la grande tragédienne française était au faîte de sa gloire. Del Vecchio avait elle-même eu pour compagne de classe une autre cantatrice connue : Emma Albani. Après des classes musicales européennes, elle participe aux tournées de son mari en Amérique et crée des rôles dans des pièces de Louis Fréchette, notamment la Rose Laurier de son drame historique Papineau. Elle donnera à Jéhin-Prume un fils avant de mourir en 1881 à peine quelques jours après avoir donné naissance à un second enfant. Ses dernières paroles, « laissez-moi dormir », seront traduites dans un poème de Fréchette mis en musique par Jéhin-Prume.
UN PATRIMOINE MUSICAL

Après la mort de Rosita, Jéhin-Prume repart en tournée, se remarie, mais selon ses amis, quelque chose s’est brisé. En plus de vivre le deuil de Rosita Del Vecchio, Jéhin-Prume, comme beaucoup d’artistes canadiens-français de son temps, rêve de reconnaissance dans des villes européennes plus habituées, à l’époque, à valoriser l’art classique. Néanmoins, il rentre définitivement à Montréal en 1885. Il se consacre à l’enseignement du violon et à l’édification d’une vie culturelle qui favorise l’éclosion de talents locaux. Reconnu pour sa technique solide et la qualité de ses sonorités, il compose près d’une centaine d’œuvres originales, dont à peine une vingtaine nous sont parvenues. En 1892, il compte parmi les fondateurs de l’Association artistique de Montréal, première association professionnelle régulière de musique de chambre au Québec. Dans un pays jeune où l’essentiel était à bâtir artistiquement, Jéhin-Prume demeure l’un des premiers artistes de calibre international à adopter le Canada et le Québec.