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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Francisation des immigrants québécois: des tests made in France

100% des examens de français sont gérés depuis l’Hexagone

Tania Longpré, enseignante en francisation et évaluatrice certifiée pour les tests, plaide pour des examens de français gérés au Québec.
Tania Longpré, enseignante en francisation et évaluatrice certifiée pour les tests, plaide pour des examens de français gérés au Québec. Photo fournie par Marrie-Eve Larente
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Patrick Bellerose

2023-05-01T04:00:00Z
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Tous les tests de français visant à sélectionner les immigrants du Québec sont désormais produits et corrigés en France. Une pratique qui existait déjà du temps de Pauline Marois, mais qui s'est accentuée sous le gouvernement Legault.

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«Je ne comprends pas qu’on ait besoin de la France pour certifier nos immigrants sur notre propre territoire. Ça me dépasse. Pour moi, c’est d’une absurdité sans nom», confie une enseignante en francisation, Céline Curtil, elle-même d’origine française.

Jusqu’en 2020, deux voies s’offraient pour démontrer une maîtrise suffisante du français en vue d’obtenir le certificat de sélection du Québec (CSQ).

Les candidats pouvaient soit réussir un cours de niveau 7 dans un établissement d’enseignement du Québec, soit se soumettre à un des tests (TEF, TCF, etc. ) conçus et corrigés par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France ou France Éducation international, un organisme lié au ministère de l’Éducation français.

Désormais, seuls les examens français sont reconnus. «C’est très insultant pour les professionnels de l’éducation qui enseignent en francisation, affirme Mme Curtil. C’est comme si, du jour au lendemain, on avait décidé qu’on n’était pas fiable.» 

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Étudiants mal préparés

Selon nos informations, la formule a été modifiée après la mise au jour d’un système parmi des établissements scolaires anglophones pour délivrer des attestations à des étudiants qui maîtrisaient peu le français.

«Mais il n’y a rien eu du côté francophone, alors, je ne suis pas sûre de comprendre pourquoi tout le monde s’est fait enlever le droit» de reconnaître la maitrise du niveau 7, confie Tania Longpré, titulaire d’un doctorat en didactique du français langue seconde.  

Le ministère de l’Immigration (MIFI) explique pour sa part que la décision a été prise après avoir constaté que ce moyen «ne permettait pas de démontrer efficacement l’atteinte du niveau de français exigé».

Le MIFI plaide aussi que les deux organismes français offrent des examens dont les standards sont reconnus à l’international, en plus de disposer de points de service dans 173 pays.

Elle-même enseignante en francisation et évaluatrice certifiée pour les tests imposés par les deux organismes français, Tania Longpré déplore que les cours de francisation préparent mal les étudiants à ces examens.

Les tâches exigées lors du test n’ont pas de liens avec la matière vue en classe, explique-t-elle. «C’est très possible de finir un niveau 7 ou un niveau 8 en francisation, mais de ne pas réussir un TEF», souligne Mme Longpré.

D’ailleurs, les évaluateurs québécois ne voient jamais les résultats finaux, qui sont établis en France puis transmis au Québec.

  • Écoutez la chronique de Gilles Proulx, chroniqueur au Journal de Montréal et au Journal de Québec, entre autres au sujet de ces tests de français fait en France au micro de Richard Martineau sur QUB radio : 
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Des centaines de KM

Pour Céline Curtil, la situation est d’autant plus difficile que ses élèves de Mont-Laurier doivent se déplacer à Montréal pour se soumettre au test dans les centres agréés.

Non seulement ils doivent payer les frais pour le déplacement et, parfois, pour l’hébergement, mais le TEF lui-même coûte entre 380 et 509$.

«Comment ça se fait que nos élèves doivent faire 200, 300 ou même 800 kilomètres pour aller passer un test qui n’est même pas québécois?», lance Mme Curtil.

Pourquoi pas un examen fait au Québec?

Durant le premier mandat du gouvernement Legault, Tania Longpré a agi comme conseillère au cabinet du ministre Simon Jolin-Barrette, alors titulaire de l’Immigration.

Malgré la volonté du ministre, Mme Longpré dit s’être butée à l’inertie de la fonction publique pour créer un test de français géré uniquement par le Québec.

«J’ai été complètement désillusionnée de voir qu’il n’y avait pas de réceptivité au niveau ministériel; pas au niveau politique, je tiens à le dire, au niveau ministériel. On se faisait dire que c’était complexe, trop difficile, qu’il n’y avait pas l’expertise au Québec», dénonce-t-elle.

Différences culturelles

L’enseignante se questionne sur l’impact des différences linguistiques entre le français parlé au Québec et la correction faite en France.

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«Si la personne dit : j’ai mis ma tuque et je me suis regardé dans le miroir. [Le correcteur français] aurait plutôt dit : je mets mon bonnet et je me regarde dans la glace», illustre Tania Longpré, tout en précisant que ce seul exemple ne serait pas suffisant pour recaler un étudiant.

Pourtant, Mme Longpré assure qu’il suffirait de quelques mois à une petite équipe pour créer un examen bien de chez nous.

Examen québécois réclamé

Au Parti Québécois, on réclame d’ailleurs un tel examen québécois. «Il est tout à fait absurde que l’expertise des professionnels de l’enseignement soit supplantée ici au Québec par une organisation parisienne», affirme Pascal Bérubé, porte-parole péquiste en matière d’immigration.

«Les professionnels de l’éducation du Québec sont à même de mesurer le niveau de connaissances et de compétences en français des personnes immigrantes», estime-t-il.


Malgré des efforts pour ajouter une couleur québécoise au TEF, plusieurs expressions du manuel d’entraînement ont conservé leur touche parisienne.

«Vendredi de fin d’été en Seine-Saint-Denis, le département le plus agité de France. Au loin, le bruit de la cité. Sur un terrain de football, Aziz, 16 ans, survêtement retroussé et casquette sur la tête, tente un drive. »  

« Appelés aussitôt par des témoins, les gendarmes ont interpellé les auteurs en flagrant délit [...]. Ils ont été placés en garde à vue à la gendarmerie [...]. »  

« Depuis quelques temps des escrocs ont trouvé un moyen d’utiliser frauduleusement vos portables. » [téléphones cellulaires, NDLR]  

EXTRAITS SONORES TIRÉS DES EXERCICES

Avec l’accent français

Piste 2

Piste 9

Piste 10

Avec l’accent québécois

Piste 6

Piste 8

Piste 13

Extraits provenant de https://abc.cle-international.com

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