Fous de riz


Jacques Lanctôt
La pomme de terre est aux Québécois ce que le riz (arroz) est aux Cubains, mais un peu plus même. Un repas sans riz n’est pas un repas complet et constitue une insulte suprême. J’exagère à peine. Cela vaut pour le repas du midi et pour celui du soir. J’ai même vu des Cubains déjeuner goulûment avec les restes de riz de la veille. On est loin du café-croissant.
Ce n’est pas que les Cubains n’aiment pas la pomme de terre, au contraire. Mais le mets de base, c’est le riz. Absolument. Le riz blanc, le congri (avec haricots noirs), le riz jaune (arroz amarillo), le riz frit, la paella, etc. Et on le sert généralement en portions énormes, pour qu’à la fin du repas, on se sente «lleno», c’est-à-dire bien rempli, comblé, satisfait. Au diable le dessert, à moins que ce ne soit un arroz con leche (un pudding de riz au lait) saupoudré de cannelle.

Depuis des années, voire des décennies, Cuba rêve de souveraineté alimentaire et d’autosuffisance dans la production de riz, mais ce rêve ne s’est pas encore réalisé. La production de riz comble à peine 15% de la consommation nationale. Depuis longtemps, le Vietnam a été une source d’inspiration, de même qu’un pourvoyeur important. Il y a un peu plus d’un an, le Vietnam, pays frère, et Cuba ont conclu une entente de coopération gagnant-gagnant. Le Vietnam a envoyé une brigade de huit spécialistes et techniciens pour aider à jeter les bases d’une production de riz durable dans la province de Pinard el Rio. Avec leurs propres semences hybrides, fertilisants et pesticides, ils ont ensemencé des kilomètres de terre fertile. Et les résultats sont là, probants. Un riz d’excellente qualité.

La culture du riz n’est pas une sinécure et comprend plusieurs opérations avant d’arriver dans votre assiette. Elle exige des terres bien irriguées, voire inondées. On sème des boutures à la main pour de petites surfaces servant à la consommation familiale ou du haut des airs lorsqu’il s’agit de grandes étendues comme celles que j’ai visitées récemment. La récolte s’effectue quatre à cinq mois plus tard et nécessite un outillage mécanisé de type moissonneuse-batteuse, que Cuba fournit. Le riz récolté est ensuite envoyé dans un endroit où il sera trié et débarrassé de ses impuretés pour être ensuite foulé aux pieds et séché sous le chaud soleil des Caraïbes. Oui, vous avez bien lu: foulé aux pieds par des humains qui, en chaussettes, se promènent sur le riz répandu au sol pour le retourner dans tous les sens pendant plusieurs heures. Une fois séché, le riz sera acheminé au moulin pour le débarrasser de son écorce brune.

Ces différentes étapes se réalisent dans des conditions précaires, faut-il le rappeler, avec des pannes d’électricité programmées quotidiennement et le rationnement du combustible, essence et diésel. Quant aux experts vietnamiens, ils semblent bien s’acclimater et ne se formalisent pas des difficultés du moment. Ils viennent d’un pays qui a connu des années de guerre et de destruction. Ils en ont vu d’autres, comme on dit. Tout mon respect.
Offensive sur les réseaux sociaux
En plus de subir un blocus commercial et financier depuis plus de soixante ans, Cuba affronte actuellement une recrudescence des attaques (calomnies, mensonges, fausses nouvelles ou déformation volontaire de nouvelles) dans le cyberespace. Les plus folles rumeurs circulent dans le but de dissuader les touristes de visiter la plus grande île des Antilles. Comme le tourisme est une des principales sources de devises, on veut créer un climat de panique, alléguant qu’il n’y a plus d’électricité, plus de pain, plus de ci ou de ça, que les hôtels de Varadero sont vides, qu’il y a des manifestations voire des soulèvements un peu partout, etc. Depuis Miami, on lance des mots d’ordre au sabotage, à la désobéissance civile, tout en multipliant les fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. Même l’ambassadeur étatsunien à La Havane, Mike Hammer, s’est joint à ce concert d’hostilités, outrepassant son devoir de non-ingérence.
Je ne dis pas qu’il n’y a pas de mécontentement dû aux pannes d’électricité programmées. Ces pannes, dues aussi bien au manque de combustible qu’au vieillissement des centrales thermiques et au manque de pièces de rechange, ont une origine commune: le blocus criminel étatsunien. Mais tous les efforts sont faits pour améliorer la situation actuelle, surtout avec l’ajout de nombreux parcs solaires photovoltaïques et l’aide de pays amis.

Parallèlement à cette campagne de diffamation, l’administration Trump vient d’annoncer qu’elle interdira dorénavant aux citoyens de Cuba de voyager aux États-Unis pour quelque raison que ce soit. Elle met ainsi fin aux différents programmes de coopération et d’échanges culturels, sportifs et universitaires entre les deux nations.
Malgré ces nuages sombres provenant du pays intercalé entre le Québec et l’Amérique latine, le soleil brille toujours sur Cuba et les plus belles plages de Varadero ou celles des nombreux cayos qui vous attendent cet été. Laissez-vous tenter.