Fillette de LaSalle: comment une mère peut-elle abandonner son enfant?


Isabelle Maréchal
On grandit avec l’idée que l’amour d’une mère est instinctif, inaltérable, inconditionnel. Qu’une mère, c’est le refuge ultime. Qu’elle protégera toujours son enfant envers et contre tous. Coûte que coûte. Au péril de sa propre vie. Défenderesse de son sang jusqu’à son dernier souffle. Alors, quand une femme laisse derrière elle sa fillette de trois ans au bord d’une route, notre cœur de parent, de citoyen, de simple humain, saigne. On cherche à comprendre l’inexplicable. L’indicible.
Et pourtant, ça arrive.
Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’une femme qui pose un tel geste? Colère, détresse, confusion, désespoir, déconnexion? Toutes les hypothèses sont plausibles. Quand une mère baisse les bras, c’est qu’elle-même a été abandonnée quelque part. Par un système. Une communauté. Une santé mentale fragile. Les raisons sont multiples. Aucune ne peut servir de circonstance atténuante. Mais cela peut nous éclairer, si l’on veut vraiment comprendre, réparer, prévenir.
Où était le village?
C’est normal de s’indigner quand la sécurité d’un enfant est compromise par sa propre mère. Mais où étions-nous, collectivement, avant qu’elle en arrive là? On dit que ça prend un village pour élever un enfant. Des proches, des voisins, des aidants qui en amont dépistent la solitude, reconnaissent les appels à l’aide dans les non-dits. Tout ce précieux réseau qui sert de filet de sécurité.
Car, si l’amour maternel est puissant, il ne peut pas tout. Il ne peut pas nourrir un enfant quand le frigo est vide, gérer une séparation houleuse ou soigner un mal être. L’amour d’une mère pour son enfant ne peut pas toujours le protéger d’elle-même.
Les mères «brisées» ne font pas toutes les nouvelles. La plupart portent le poids de leur douleur comme un fardeau supplémentaire. Elles se fatiguent à la tâche, s’oublient, dépriment. Des générations de mères déprimées.
Double standard
On ne conçoit pas qu’une mère démissionne. C’est socialement inacceptable. D’ailleurs, peu le font. On comprend mieux un père absent ou irresponsable. C’est devenu une triste norme. Les pères abandonnent par peur de l’engagement, parce qu’ils sont immatures. Par lâcheté.
L’abandon maternel n’est pas pire que celui du père, mais il est infiniment plus jugé. «Ben, voyons donc, une vraie mère ne ferait jamais ça.» On nage en plein mythe: celui de la mère parfaite, sacrificielle, infaillible. Ne dit-on pas «la sainte mère»? Les mères ne sont pas des saintes. Elles peuvent chuter.
Toute cette détresse devrait toutefois nous inquiéter. De nombreux parents appellent eux-mêmes à la DPJ pour lui confier leur enfant. «Gérez-le, je suis pu capable!» Et ces autres, incapables du moindre attachement, négligents, peu à l’écoute, tout sauf aimants.
Comment grandiront tous ces enfants abandonnés?
On sait que la blessure d’abandon laisse une plaie béante dans le cœur d’un enfant. Un bobo qu’il va traîner toute sa vie d’adulte. Malgré un travail sur soi intense pour en comprendre les raisons, on ne s’en remet jamais complètement. Ainsi va le cercle vicieux de la précarité affective.