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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

Fidel (suite et fin)

Photo New York Daily News
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Photo portrait de Jacques Lanctôt

Jacques Lanctôt

2025-08-23T04:00:00Z
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L’amitié entre Gabriel García Márquez et Fidel remonte aux débuts de la révolution cubaine, alors que le jeune journaliste colombien se rend à Cuba pour y interviewer le chef des barbudos. À partir de ce moment, s’est nouée une amitié indéfectible, au fil de centaines de rencontres et de conversations, en dépit de certaines critiques que l’écrivain colombien a adressées, à certaines occasions, au leader cubain.

Il faut se rappeler que García Márquez a participé à la mise sur pied de l’agence de presse Prensa latina en 1959, et à la création de la Fondation du Nouveau Cinéma latino-américain et de la prestigieuse École internationale de cinéma et télévision de San Antonio de los Baños, en banlieue de La Havane, où ont été formées plusieurs générations de cinéastes et d’artisans du cinéma.

Dans une chronique du 13 août 2009 publiée dans le quotidien Juventud rebelde, Márquez écrit que Fidel est un véritable amant des mots. Pour lui, la parole est sacrée. Il aime converser et lorsqu’il est fatigué de parler, il se repose en conversant. Il adore improviser, c’est ce qui le stimule le plus. Il commence à voix basse puis petit à petit, il s’empare de son auditoire en donnant un grand coup. Il faut l’avoir vécu pour comprendre, précise-t-il.

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Fidel sait s’adapter à chaque public, qu’il s’adresse à des écoliers, des étudiants universitaires, des ouvriers, des cultivateurs ou des artistes de différentes disciplines. Il sait se situer à leur niveau et grâce à sa mémoire phénoménale, il dispose d’une masse d’informations qui lui permet d’aborder chaque sujet en étant extrêmement bien informé. Mais où qu’il soit, Fidel est là pour gagner, ajoute-t-il. «Son attitude devant la défaite, même dans les plus petites scènes de la vie quotidienne, semble obéir à une logique personnelle: il refuse d’admettre la défaite et n’abandonne jamais jusqu’à convertir la défaite en victoire. C’est une véritable obsession.»

Fidel est aussi un visionnaire. Il a cette capacité de prévoir l’évolution d’une situation donnée jusqu’à ses conséquences les plus lointaines. Mais cela n’a rien à voir avec un prétendu don de voyance, c’est plutôt le fruit d’une analyse et d’un raisonnement sans pitié.

Au petit-déjeuner, il a déjà devant lui un bon deux cents pages de notes et d’informations diverses accumulées au cours des dernières vingt-quatre heures et provenant du monde entier. Puis, au fur et à mesure que les heures s’écoulent et qu’il se déplace, les informations continuent de lui arriver, sans parler des notes qu’il doit lire à propos des visiteurs qu’il doit rencontrer dans le cadre de ses activités officielles. C’est aussi un lecteur vorace, il peut commencer un livre le matin et le commenter le lendemain. Ses thèmes préférés sont l’histoire et l’économie, mais il sait apprécier un ouvrage littéraire.

Il ne refuse aucune question, même les plus malicieuses, et il ne perd jamais patience, précise Márquez. Il n’aime guère que son entourage lui cache des choses, soi-disant pour ne pas l’affecter. Il préfère la vérité, même si elle fait mal ou dérange. Aussi ne craint-il pas de descendre dans la rue pour parler avec ses concitoyens. Ceux-ci l’entourent, le tutoient, l’appellent Fidel, discutent et argumentent avec lui sans crainte.

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«Fidel est un être à part, profondément humain, que le reflet de sa propre image ne laisse pas nécessairement voir», précise l’écrivain colombien. «Tel est le Fidel Castro que je pense connaître: un homme au style de vie austère, pétri d’illusions multiples, avec une éducation formelle à l’ancienne, pour qui la parole est précieuse, et incapable de concevoir un projet qui ne soit pas colossal. Il rêve que des scientifiques cubains découvrent un jour un remède contre le cancer. Il a réussi le tour de force de doter son pays d’une politique extérieure digne d’une puissance mondiale, dans une île 84 fois plus petite que son ennemi principal. Un jour, alors que je le voyais accablé par le poids de tant de destins, je lui ai demandé qu’est-ce qu’il aimerait le plus faire en ce monde, qu’il n’a pas encore fait. Il m’a répondu du tac au tac: “M’arrêter sur un coin de rue”.»

La mort de mon fils

Il y a quelques jours, mon fils Laurent-Hugo est décédé. Il avait trente-quatre ans. C’était le mouton noir de la famille, celui qu’on affectionne tout particulièrement parce qu’on le sait vulnérable. Il avait été, dans une autre vie, aide-cuisinier dans un ou deux restaurants populaires fréquentés par la faune artistique. Puis musicien dans un groupe de musique traditionnelle (il jouait, entre autres, de la planche à laver dans le plus pur style louisianais). C’est là, je crois, qu’il a pris goût à la piqûre d’héroïne dont il n’a jamais pu vraiment se défaire, malgré les nombreuses cures et autres efforts pour s’en sortir. De chutes en rechutes, en quête de paradis artificiels, on pouvait le voir quêter, assis par terre, beau temps mauvais temps, avec ses deux gros chiens inséparables, rue Sainte-Catherine, entre autres. Qu’est-ce qu’on se dit, dans un tel cas? Qu’il ne souffre plus?... Mais la douleur des vivants, elle, demeure bien réelle.

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