Fernandez est tombée dans le piège

Jean-Charles Lajoie
Mon collègue et ami Jean-Nicolas Blanchet n’est pas passé par quatre chemins pour porter un diagnostic quant aux insuccès de la Québécoise Leylah Annie Fernandez.
Selon lui, Leylah devrait songer à changer d’entraîneur. Un problème se pose toutefois : Jorge Fernandez est son coach et aussi son gérant, mais surtout son père. Cela en fait beaucoup à tasser d’un seul trait.
Si Leylah était coachée par Martin Laurendeau, cet excellent entraîneur ne serait hélas plus dans son entourage depuis plusieurs mois. Idem pour Guillaume Marx.
Cela ne signifie pas que ça aurait constitué une bonne chose. Je pense avec tout respect que Jean-Nic fait fausse route dans son analyse. Je crois qu’en regardant l’arbre, il refuse de voir la forêt.
L’univers du tennis professionnel est pourri. Sous des couverts de grande noblesse et de prestige, les athlètes sont soumis à un régime où les tentations sont fortes et multiples. Chacune éloigne le joueur qui y succombe de l’objectif principal : performer sur le court. Le cas Fernandez n’est pas unique.
Dans une entrevue que m’accordait Jorge Fernandez à la radio il y a quelques années, nous avions abordé la délicate question des facteurs extérieurs et envahissants qui pourraient éventuellement nuire à sa fille. Papa avait répondu avec le sourire et aplomb que Leylah allait garder les pieds sur terre, en maintenant sa concentration sur l’objectif de gagner des tournois. J’ai cru Jorge sur parole, son intention était sincère.
Cependant, après une finale en Grand Chelem à 18 ans et une multitude de succès avant 20 ans, la joueuse de l’année au Canada en 2021 est devenue la saveur première au pays. Elle a succédé aux Bianca Andreescu et Eugenie Bouchard... et elle semble avoir posé pied dans le même piège qu’elles.
De la misère à la richesse
Comment leur en vouloir? Ces jeunes filles amorcent leur parcours professionnel en gagnant des bourses faméliques leur permettant à peine de se procurer une voiture de 10 ans d’âge. Elles se préparent des repas au micro-ondes dans des hôtels bas de gamme. Elles passent d’innombrables heures dans des conditions limites à s’entraîner.
Soudainement, elles gagnent des matchs, des tournois et des sommes importantes. Elles se réveillent un beau matin dans un luxueux hôtel de Paris, des fleurs fraîches sont portées à leur intention, leur repas est préparé par un chef étoilé. Elles déambulent dans les bals et autres galas, et font la Une des magazines.
Ensuite, ces jeunes talents perdent des heures précieuses d’entraînement à coups de semaines d’absence des courts, tout en gagnant plus d’argent. Inévitablement, elles stagnent et perdent goût à la souffrance avant de régresser. Jorge Fernandez avait une excellente intention en entrevue il y a trois ans. Comment ne pas croire que Leylah, qu’on a du mal à ne pas voir quotidiennement sur un panneau ou à la télé, n’ait pas succombé aux charmes extérieurs ?
Victoria Mboko sera-t-elle la prochaine ? Voilà pourquoi je me rabats sur un tournoi comme le Challenger de Granby, là où une jeune Leylah Fernandez a perdu une finale épique à 15 ans. Là où Eugenie a gagné, comme Stéphanie Dubois, Frank Dancevic, Vasek Pospisil, Sébastien Lareau, Alexis Galarneau et Gabriel Diallo.
Des jeunes qui laissent tout sur les courts pour repartir avec plus de confiance, d’ambition et un beau 15 000 $ en poche. C’est le sport pur que j’aime !