Femme à barbe, homme à trois jambes: les cabinets de curiosité à Montréal

Martin Landry
On peut dire que la théorie de l’évolution de Charles Darwin a révolutionné notre façon de voir le monde. Cette fascination pour les êtres vivants et leurs différences ne date pas d’hier et n’a pas toujours eu des vertus scientifiques.
Saviez-vous qu’au début du XIXe siècle, il existait, à Montréal, des endroits où l’on exposait au grand public des curiosités humaines et animales? Ces musées attiraient des milliers de touristes qui payaient pour observer ces drôles de phénomènes. On faisait de longs trajets pour voir une famille d’albinos originaire de Madagascar, une femme à deux têtes, des jumeaux siamois ainsi que des exemples rares d’animaux difformes.
CABINETS DE CURIOSITÉS
Rendus populaires grâce à la renommée de certains cabinets de curiosités américains, ces lieux de démonstration d’êtres vivants arrivent au Bas-Canada au début du XIXe siècle.
Le premier contact des Québécois avec cette réalité se fait au moyen d’expositions itinérantes qui s’arrêtent quelques jours en ville.
Le premier musée de curiosités de Montréal ouvert au public est créé par un aubergiste d’origine italienne, Thomas Delvechio, il y a près de 200 ans.
Le Museo Italiano avait pignon sur rue dans une auberge du Vieux-Montréal actuel. Il présente, dès 1824, une impressionnante collection de spécimens insolites qui attire une foule de curieux.
L’exposition de Delvechio a aussi pour objectif de vendre des nuitées pour l’établissement hôtelier.
ORIGINES ANTIQUES
Des centaines d’années avant notre ère, les Égyptiens et les Grecs exhibaient des populations indigènes, des nains de contrées lointaines ou des animaux inconnus chez eux.

Il semblerait que l’un des premiers zoos constitués d’humains vivants ait été créé ici en Amérique, plus précisément à Moctezuma au Mexique. En plus de présenter des animaux aux visiteurs, le zoo de Moctezuma exposait des humains infirmes et différents, comme des albinos ou des bossus.
AUTOCHTONE D’AMÉRIQUE, CURIOSITÉ POUR LES EUROPÉENS
Au retour de son premier voyage en Amérique en 1492, Christophe Colomb ramène des Autochtones, qu’il fait défiler devant Isabelle de Castille, Ferdinand d’Aragon et la cour d’Espagne.
Le 3 mai 1536, Jacques Cartier kidnappe le chef iroquoien Donnacona et le présente à la cour du roi de France, François 1er. On sait aussi qu’en 1644, des Groenlandais sont ramenés en Europe pour être exposés comme de véritables bêtes de foire au roi Frédéric III du Danemark.
Ces humains donnés en spectacle comme objets de curiosité viennent de tous les continents et gagnent en popularité au tournant du XVIIIe siècle en Europe, mais ici aussi en Amérique du Nord.
SAARTJIE BAARTMAN

Un des exemples emblématiques de cette dégradante curiosité est le cas de la «Vénus hottentote», de son vrai nom Saartjie Baartman. Elle est offerte en exposition entre autres en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en France, où les visiteurs peuvent l’observer pour quelques sous. Elle suscite la fascination chez les gens par la forme de son visage et surtout de ses fesses beaucoup plus imposantes que celles de l’Européen moyen.
Saartjie Baartman meurt après quelques années de surexploitation dans des conditions médiocres en 1815. Comme si on ne l’a pas assez exhibée, on fait faire un moulage en plâtre de son cadavre. Au nom de la science, son corps est disséqué. Son cerveau, ses organes génitaux et son anus sont conservés dans le formol. Certains essayeront d’établir, à partir de ces organes, des pseudothèses sur l’infériorité de certaines races.
ICI, ET PARTOUT EN OCCIDENT
Sur une période de 150 ans, entre les années 1800 et après la Seconde Guerre mondiale, une véritable industrie du spectacle s’organise. Des musées et des cirques exhibent des curiosités d’êtres vivants – ou morts. Au moins 35 000 humains sont mis en scène dans ces dégradantes expositions. En Occident, on estime que près de 1,5 milliard de personnes se sont déplacées et ont bien souvent payé pour profiter de ces exhibitions humaines.
Entre 1817 et 1847, sur la cinquantaine d’expositions présentées à Montréal, huit mettent en vedette des humains jugés différents. Les gens se déplacent en masse pour voir un homme extrêmement maigre, que l’on décrit comme le squelette vivant ; un géant qui pèse plus de 600 livres ; ou encore un bambin obèse d’à peine 10 mois, qui pèse plus de 90 livres.
Au milieu du XIXe siècle, toujours à Montréal, l’entreprise J. É. Guilbault présente, dans son zoo payant (le jardin Guilbault), des membres d’une famille d’albinos et des filles à la peau blanche, nées de parents à la peau noire, dans toutes sortes de mises en scène plutôt irréelles.
VENEZ VOUS SENTIR COMME UN GÉANT!

En 1926, Philippe Nicol, son épouse Rose Dufresne et leur nouveau-né élisent domicile au 961, rue Rachel Est. Ces personnes de petite taille créent une maison à leur échelle et lui donnent le nom de Palais des nains. Le couple invite les curieux à regarder vivre la famille pour 10 sous.

Les visiteurs sont alors invités à entrer dans l’appartement pour les voir évoluer dans leur quotidien, effectuer leurs tâches ménagères ou bien tout simplement les regarder lire les journaux. La maison richement décorée, digne des plus beaux manoirs du Golden Square Mile, est aménagée comme un véritable musée de la miniature. Tout est sur mesure pour une petite personne. Même l’horloge grand-père du logement est de petite taille. L’appartement miniature sera accessible au public jusqu’en 1992.
FEMME À BARBE ET HOMME À TROIS JAMBES
Cet attrait pour les humains différents se matérialise souvent dans les parcs d’attractions. Entre 1923 et 1983, à Montréal, dans Cartierville, le parc Belmont présente quotidiennement des phénomènes. Le nain, la femme à barbe, l’homme le plus grand du monde, l’avaleur de sabre, la grosse femme au rire tonitruant ou la femme gorille vont attirer les foules pendant 60 ans dans le nord de l’île.
Le racisme scientifique présenté dans des musées, les exhibitions humaines, les monstres vivants des cirques, les spectacles de «sauvages» et les êtres exotiques présentés comme bêtes de foire ont réellement fait partie de notre histoire occidentale. Le Québec n’a malheureusement pas échappé à cette dégradante mascarade.