Faut-il boycotter la culture américaine?


Sophie Durocher
«Les voyages forment la jeunesse». J’ai toujours trouvé que c’était vrai. Quand on voyage, on est moins con.
C’est pour ça que j’ai été surprise quand j’ai entendu le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, dire que les écoles devaient «réfléchir à la possibilité d’annuler leurs voyages aux États-Unis», après qu’une école de l’Estrie a annulé un voyage pour des élèves de secondaire 4.
On a peur de quoi? Que pendant la semaine de relâche, de petits Québécois aillent à Boston, New York ou Washington et reviennent avec des casquettes rouges MAGA sur la tête?
Sivis pacem
Il y a une guerre commerciale entre les États-Unis et le Canada. C’est aussi une guerre politique. Mais pourquoi ça devrait devenir une guerre culturelle? Et pourquoi des mineurs, qui n’ont même pas l’âge du droit de vote, devraient se fermer à la culture du voisin sous prétexte que le Grand Orange est un fou furieux?
Je n’ai aucune gêne à le dire. En ce moment même, mon fils est en voyage scolaire aux États-Unis, organisé par son cégep. Il va visiter des musées, parler avec des guides, des spécialistes, des experts dans leur domaine. Il s’ouvre les yeux et l’esprit.
Et s’il rentre à la maison dimanche et critique la culture américaine, la politique américaine ou les citoyens américains, il va le faire de façon (un peu plus) informée et documentée qu’avant son voyage.
Il aura «fait ses recherches».
Il y a deux ans, pour un voyage scolaire avec son autre école, mon fils est allé trois jours à Washington. Il y a entre autres visité le Musée de l’Holocauste.
Pensez-vous sérieusement qu’on sert une cause quelconque en encourageant les petits Québécois à rester chez eux pendant la relâche?
Je comprends qu’on favorise l’achat de mayonnaise québécoise ou de dentifrice québécois (pour ceux qui ne veulent même pas donner une cenne aux Américains en se brossant les dents).
Mais pourquoi étendre ça à des voyages scolaires qui ont pour but, dès le départ, de s’ouvrir à d’autres cultures, sans jugement? Je pense au contraire que c’est en se colletaillant à la culture américaine que les petits Québécois vont mieux pouvoir comprendre les enjeux de ce qui se trame en ce moment.
Limer notre cervelle
La fameuse phrase «Les voyages forment la jeunesse» nous vient du philosophe français Montaigne. Dans un de ses Essais, (écrits de 1572 à 1592), il déclare qu’il faut que les enfants visitent des pays étrangers: «Pour en rapporter principalement les humeurs de ces nations et leurs façons, et pour frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui».
J’adore cette image: c’est en se frottant sur l’esprit des autres qu’on aiguise notre cervelle.
En 1990-1991, j’ai passé un an aux États-Unis, pour une maîtrise en journalisme de l’Université Columbia, à New York. Il y avait des étudiants d’Inde, d’Italie et du Tibet (oui, je vous jure, l’attaché de presse du Dalaï-Lama était sur les bancs d’école).
Les plus ignares du groupe, c’étaient les étudiants américains. Et vous savez pourquoi? C’étaient ceux qui avaient le moins voyagé. Imaginez-vous, il y en avait même qui croyaient, il y a 35 ans de ça, que le Canada... était le 51e État américain!