Extrémisme sikh: le Canada est trop laxiste, mais l'Inde exagère
On laisse une frange radicale et violente de cette communauté tenir des discours haineux en toute impunité


Anne Caroline Desplanques
OTTAWA - Sans être un refuge de terroristes sikhs comme l'affirme l'Inde, le Canada est depuis des années permissif avec une frange radicale et violente de cette communauté qu’on laisse tenir des discours haineux en toute impunité.
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Depuis que Justin Trudeau a accusé l’Inde d’avoir commandité l’assassinat d’un militant sikh en Colombie-Britannique, New Delhi accuse le Canada d’être un refuge pour terroristes.
« Ces allégations non fondées cherchent à détourner l’attention des terroristes et extrémistes khalistanais, qui ont trouvé refuge au Canada et continuent de menacer la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Inde », a déclaré le ministère indien des Affaires étrangères.
Ces reproches qui ne datent pas d’hier ne sont pas complètement faux, mais doivent être pris avec des pincettes, prévient Thomas Juneau, spécialiste des questions de sécurité nationale à l’Université d’Ottawa.
« Il est vrai que les gouvernements canadiens successifs ont été trop permissifs », dit-il.
Militants radicaux
Ex-analyste à la Défense nationale, il explique que parmi les quelque 800 000 sikhs présents au pays, une petite minorité tient des discours haineux, profère des menaces contre les diplomates indiens et aurait planifié des actes de violence.
Ces individus sont des militants radicaux pour la création de la théocratie indépendante du Khalistan dans l’État du Penjab en Inde. Les autorités indiennes classaient Hardeep Singh Nijjar, le Canadien assassiné à Surrey, dans cette catégorie, comme une série d'autres militants dispersés dans le monde.

Victime de notre laxisme
Michel Juneau-Katsuya, ancien agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), indique que le SCRS a les extrémistes sikhs à l’œil, mais que la plupart du temps, ils ne sont pas poursuivis puisque, au nom de la protection de la liberté d’expression, nos lois sur le discours haineux ne sont pas assez souvent appliquées.
De plus, nos services secrets et nos services frontaliers, qui sont confrontés à une augmentation du nombre de menaces et à leur intensification, manquent de ressources pour enquêter sur tous les cas suspects, ajoute M. Juneau.
Si bien, qu’« on est victime de notre laxisme » dans la crise diplomatique sérieuse qui nous oppose maintenant à New Delhi, déplore M. Juneau-Katsuya.
Les deux analystes soulignent néanmoins que la majorité des sympathisants de l’indépendance du Khalistan au Canada ne sont pas des extrémistes violents, comme l’estime le gouvernement indien pour qui toute forme de militantisme pour cette cause est inacceptable.
Cette posture amène l’Inde à exiger du Canada des choses inacceptables en démocratie, soit la répression de toute forme de militantisme sikh, note M. Juneau. Or, « dans une démocratie, l’activisme, tant qu’il est pacifique et non criminel, est acceptable », insiste-t-il.
Communauté assiégée
Et le militantisme sikh ne justifie aucune forme d’ingérence indienne sur notre sol, insistent les deux analystes. M. Juneau-Katsuya indique que l’assassinat allégué n’est que le dernier épisode d’une longue série d’interventions indiennes auprès des sikhs du Canada depuis maintenant 40 ans.
Il explique que cette communauté est littéralement « assiégée » par des agents indiens infiltrés qui la surveillent, mais aussi fomentent la radicalisation pour les pousser à des gestes répréhensibles qui forceraient le Canada à intervenir.
Lui-même d’origine sikh, le chef néodémocrate, Jagmeet Singh, a écrit mardi à la juge Marie-Josée Hogue, qui présidera la commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère, pour lui demander d’inclure l’Inde dans son enquête.

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