Existe-t-il une cour de justice plus «québécoise» qu’une autre au Québec?

Hon. Jacques Chamberland, juge retraité de la Cour d’appel du Québec, Hon. Daniel W Payette, juge retraité de la Cour supérieure du Québec
La réponse est NON.
Mais alors, pourquoi la question?
Parce que l’idée qu’un tribunal dont les juges ne sont pas nommés par le gouvernement du Québec n’est pas vraiment «québécois» a toujours cours, malheureusement. Ainsi, il serait illégitime pour la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel de trancher des causes relevant du droit civil ou, pire encore, de contrôler la légalité des lois adoptées par le Québec.
Cette idée sous-tend en partie l’initiative d’une résolution de l’Assemblée nationale de déclencher des négociations avec Ottawa afin que le Québec «participe pleinement» à la nomination des juges de tous les tribunaux sur son territoire. Ces affirmations alimentent un sentiment de nationalisme judiciaire fort mal avisé puisqu’insinuant que les justiciables québécois seraient mieux servis par des juges nommés par un gouvernement plutôt qu’un autre.
Il convient de remettre les pendules à l’heure!
Nomination
La Cour supérieure du Québec et la Cour du Québec constituent, pour l’essentiel de leurs compétences, des tribunaux de première instance dont les juges exercent leurs fonctions partout au Québec, en contact direct avec les parties, les témoins et les avocats qui se présentent devant eux.
La Loi constitutionnelle de 1867 prévoit l’existence d’instances supérieures dont le gouvernement fédéral nomme les juges parmi les avocats, québécois au Québec, et dont il assume les salaires, allocations et pensions. Il en est ainsi de la Cour supérieure du Québec. Ces cours sont dites «supérieures» en raison du pouvoir général de surveillance, de réforme et de contrôle qu’elles exercent sur les autres tribunaux, organismes publics, personnes morales de droit public et autres groupements. Un rôle essentiel à la primauté du droit dans un État de droit.
La Loi constitutionnelle prévoit également le pouvoir exclusif des provinces de créer, maintenir et organiser des «tribunaux de justice pour la province». La Cour du Québec est l’un d’eux. Ses juges sont nommés par le gouvernement du Québec parmi les avocats et (depuis 2023) les notaires du Québec, et c’est ce gouvernement qui voit au paiement de leurs salaires, allocations et pensions.
Que ce soit par le gouvernement fédéral ou par le gouvernement du Québec, les juges sont nommés, parmi les candidats sélectionnés par des comités indépendants du pouvoir politique, au terme d’un processus dont la forme varie quelque peu, mais dont l’objectif poursuivi est le même, soit d’identifier les meilleurs candidats pour exercer la fonction.
Formation
Qu’ils ou elles soient nommés par un ordre de gouvernement ou l’autre, les juges québécois possèdent la même formation universitaire, ont étudié le même Code civil du Québec, ont fréquenté les mêmes écoles primaires et secondaires, les mêmes cégeps, ont pratiqué le droit comme avocat ou notaire auprès des mêmes clientèles, se sont renseignés auprès des mêmes sources d’information, ont célébré les mêmes fêtes nationales du Québec et du Canada... Ils appliquent le même droit et les mêmes règles de preuve dans l’exercice de leurs compétences respectives. C’est une loi québécoise qui voit à la composition des deux cours et encadre leurs activités.
Par ailleurs, la suggestion selon laquelle il faut que le gouvernement québécois «participe pleinement» à la nomination des juges de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d’appel parce qu’ils appliquent les lois québécoises laisse perplexe. Ce serait aussi le cas si le gouvernement fédéral exigeait de s’impliquer dans la nomination des juges de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale et Chambre de la jeunesse, au motif qu’ils appliquent quotidiennement des législations qui relèvent de la compétence fédérale exclusive en droit criminel (dont le Code criminel).
Les juges de la Cour supérieure sont donc tout aussi «québécois» que les juges de la Cour du Québec, et la cour où ils ou elles exercent leurs fonctions est tout aussi «québécoise» que la Cour du Québec. Il est erroné et nuisible à la perception que nos concitoyens ont de la justice au Québec de laisser sous-entendre le contraire.

Hon. Jacques Chamberland, juge retraité de la Cour d’appel du Québec

Hon. Daniel W. Payette, juge retraité de la Cour supérieure du Québec