Éthique: l’ex-patron d’Otéra dit avoir été congédié pour que la Caisse de dépôt sauve la face

Jean-Louis Fortin | Bureau d'enquête
L’ex PDG d’une filiale de la Caisse de dépôt congédié pour des manquements à l’éthique affirme avoir été sacrifié pour permettre au bas de laine des Québécois de sauver son image, au moment où l’institution faisait l’objet de reportages médiatiques peu flatteurs.
« Ils se sont assurés que ma carrière soit finie. Ils m’ont lancé devant l’autobus », a lancé lundi Alfonso Graceffa, qui dirigeait Otéra Capital, le bras de prêt immobilier commercial de la Caisse, jusqu’en mai 2019.
M. Graceffa témoignait à l’ouverture du procès qui l’oppose à la Caisse. Il réclame 6,9 M$ à cette dernière pour congédiement abusif et diffamation.
L’ex-PDG a admis lundi certains manquements. Il reconnaît ne pas avoir divulgué à ses supérieurs qu’il était devenu actionnaire en 2013 de construction St-Gabrielle, une compagnie que dirigeait son frère. Il ne les a pas informés non plus qu’il avait prêté, via sa société de portefeuille, près de 2 M$ à cette compagnie.
Mais cela ne justifiait pas qu’il congédié de la sorte, selon lui. Surtout qu’il affirme avoir informé la Caisse dès 2007 de ses autres intérêts financiers, dont les immeubles locatifs qu’il possédait. Son avocate Marie-France Tozzi l’a d’ailleurs décrite comme « une étoile montante à la Caisse de dépôt», qui recevait des promotions « année après année ».
La Caisse a montré la porte à M. Graceffa, ainsi qu’à trois autres cadres, dans la foulée d’une enquête externe à 5 M$ qu’elle a lancée suite à des reportages de notre Bureau d’enquête.
Carrière «détruite»
L’ancien dirigeant en a gros sur le coeur. Il affirme avoir été congédié par une simple lettre, sans avoir pu exposer sa version des faits au département des ressources humaines d’Otéra.
Il reproche surtout à la Caisse d’avoir entretenu un certain flou public sur ce qu’elle lui reprochait, lorsqu’elle a annoncé son départ le 28 mai 2019. L’institution parlait alors de liens avec le crime organisé, sans préciser quel employé congédié entretenait ces liens.
«Tout ce pour quoi j’ai travaillé pendant toute ma vie a été détruit. Puisque je suis italien, la première chose que les gens pensent, c’est: il est lié à la mafia. (...) Ma carrière a été détruite ce jour-là, c’est ce qui est arrivé», a-t-il affirmé non sans émotion devant le juge Andres Garin, avant de prendre une gorgée d’eau.
- Écoutez la chronique Crime et Société avec Félix Séguin, journaliste au Bureau d’enquête de Québecor, entre autres au sujet du procès Otéra capital, au micro de Benoit Dutrizac sur QUB radio :
Congédiement justifié
La Caisse de dépôt, de son côté, entend démontrer au cours du procès de 12 jours que le congédiement de Graceffa était parfaitement justifié.
Mason Poplaw, l’avocat qui défend la Caisse, a souligné en cour que l’ex-PDG d’opéra avait eu des comportements qui «ne correspondent pas aux attentes qu’on pourrait avoir d’un des plus hauts dirigeants d’une institution financière».
Selon lui, «les déposants sont en droit de s’attendre d’avoir le plus haut niveau d’éthique et d’intégrité dans une institution comme la Caisse».
Une longue brochette de témoins devrait défiler dans les prochains jours, dont l’ex-PDG de la Caisse Michael Sabia et l’ex-président d’Ivanhoé Cambridge Daniel Fournier.
Près de 2M$ en rémunération
Combien peut gagner le patron d’une importante filiale de la Caisse? Beaucoup d’argent. Voici un aperçu de la rémunération annuelle d’Alfonso Graceffa juste avant son congédiement:
-Un salaire de base de 460 000 $
-Un «régime d’intéressement à court terme» de 644 000 $
-Un «régime d’intéressement à long terme» de 400 000 $
-Une «prime spéciale» de 400 000 $
-Une indemnité pour son véhicule de 2000 $ par mois
Total: 1 928 000 $ par année