«Ça ne valait plus la peine»: des commerçants expliquent pourquoi ils n'acceptent plus l'argent comptant


Louis-Philippe Messier
À Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
De plus en plus de commerçants préfèrent se dispenser du sempiternel fardeau de la caisse enregistreuse, qu’il faut compter, renflouer de monnaie et protéger des voleurs, en adoptant une politique de paiement par carte bancaire seulement.
«Nous n'acceptons pas d'argent comptant dans les bars ou nos restaurants», avertit le marché Time Out, la foire alimentaire du Centre Eaton, où je mangeais récemment à l’occasion d’un reportage à un centre d’arcade qui, à son comptoir, n’accepte plus le comptant.
«On dirige les clients vers une machine qui accepte les billets de banque pour acheter des jetons pour nos machines, mais on n’accepte plus la monnaie et on n’a plus de caisse enregistreuse», explique Emmanuel Sévigny, le proprio du Centre Playbox.
Après mon reportage, je suis allé acheter des souliers à mon jeune fils chez Décathlon, la chaîne de magasins sportifs française qui n’a jamais accepté l’argent comptant depuis son ouverture.
L’autre foire alimentaire haut de gamme de Montréal, Le Central, à l’angle de Saint-Laurent et Sainte-Catherine, utilise l’expression plus policée de «paiement sans contact» pour dire la même chose, c’est-à-dire: pas de comptant.
Quand les salons de coiffure Station 10 situés dans des stations de métro de Montréal sont apparus il y a quatre ans et demi, c’était paiement par carte seulement.
Parmi les marques et les endroits qui se sont débarrassés de l’argent liquide, il y a le Centre Bell, le Centre Vidéotron, la station de Ski Bromont, David’s Tea, Jack & Jones, La Ronde et j'en passe.
Il y a tellement de commerces «post-comptant» que juste les énumérer comblerait probablement tout l’espace de cette chronique, chronique que je suis en train d’écrire attablé dans mon café préféré près de chez moi qui, comme de raison... n’accepte pas l’argent comptant.
«Le comptant représentait 5% des paiements reçus et nécessitait 20 heures de travail de comptage et de gestion, sans compter qu’il fallait aller chercher de la monnaie. Ça ne valait plus la peine», explique Adrien Allard, le proprio de la boulangerie-café Aube.

Mesure anti-hold-up
Un autre inconvénient de l’argent comptant, c’est que ça se vole facilement.
Souvent, la fermeture d’un petit commerce se fait avec un seul employé. Il y a alors un risque sur le plan de la sécurité.
Le supermarché Metro Morgan, non loin de la boulangerie Aube, verrouille sa porte qui donne sur la rue Sainte-Catherine après 18h pour compliquer la vie d’éventuels braqueurs qui en auraient après l’argent des caisses.
Nous voici donc à une drôle d’époque mixte où certains petits commerces acceptent seulement l’argent comptant – mon barbier, par exemple – et d’autres, seulement le paiement par carte.
Pour ma part, depuis que j’ai reçu une «montre intelligente» pour mon anniversaire, puisque mes cartes y sont enregistrées, je me surprends à sortir sans portefeuille.
À part pour mon permis de conduire et ma carte Opus, je le trimballe sur ma cuisse droite pour rien. Avec un petit rouleau de billets pour d’éventuels commerces «comptant seulement», je serais en affaires partout. Mais si je me casse un jour la gueule socialement et que je me retrouve à la rue, je la trouverai moins drôle.
Près du Fugazzi Pizza de la rue Ontario, qui n’accepte pas l’argent comptant, je croise Jonathan Charbonneau qui mendie devant la Caisse pop Hochelaga.
«C’est épouvantable de laisser de côté tous les gens qui ont juste du comptant pour payer comme moi qui n’ai pas de carte ou de compte en banque», déplore-t-il.

Le brusque changement de la culture de paiement affecte doublement M. Charbonneau.
«Non seulement il y a des commerces qui veulent juste la carte, mais les gens qui passent me disent tous: désolé, j’ai juste des cartes», explique-t-il.
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