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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Et si vous donniez votre corps à la science comme de plus en plus de Québécois le font?

Des laboratoires d’anatomie universitaires qui doivent même refuser des dons.

Agathe Ribéreau-Gayon et Darshil Patel observent un squelette de porc en décomposition aux abords du laboratoire à ciel ouvert de l'UQTR à Bécancour.
Agathe Ribéreau-Gayon et Darshil Patel observent un squelette de porc en décomposition aux abords du laboratoire à ciel ouvert de l'UQTR à Bécancour. Photo Mathieu-Robert Sauvé
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Mathieu-Robert Sauvé

2023-09-09T04:00:00Z
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Les Québécois sont de plus en plus nombreux à donner leur corps à la science si l’on se fie aux différents laboratoires d’anatomie universitaires qui doivent même refuser des dons.

Les responsables font face à une telle offre qu’ils doivent refuser des demandes venant d’Ontario et même de la Colombie-Britannique. 

À Bécancour, le site «Recherche en Sciences Thanatologiques [Expérimentales et Sociales]» (RESTES) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), qui étudie les cadavres en décomposition, compte 21 corps alors qu’il n’en comptait que trois il y a un an. 

«Il y a [en Mauricie] une grande acceptabilité sociale pour le don de son corps à des fins de recherche après sa mort», affirme l’anthropologue judiciaire Agathe Rébéreau-Gayon, coordonnatrice du RESTES.

Une explication est évoquée par le Dr Gilles Brontchi, qui a participé à l’élaboration de l’aspect éthique de ce laboratoire à ciel ouvert à titre de directeur du département d’anatomie. «Les médias d’ici ont abondamment parlé de la disparition de Cédrika Provencher [dont le corps a été retrouvé neuf ans après sa mort dans un boisé de Mauricie]. Peut-être que la population est plus sensible qu’ailleurs aux recherches sur les restes humains.»

Fondé par ce dernier, le Laboratoire d’anatomie humaine de l’UQTR, qui fête ses 30 ans cette année, a accueilli son 1000e corps le 27 juillet dernier, au rythme d’environ 80 par année. L’offre est telle qu’il a dû refuser 400 demandes au cours des cinq dernières années.

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Mathieu-Robert Sauvé
Mathieu-Robert Sauvé

À l’Université de Sherbrooke, les dons sont en progression depuis trois ans: 80 corps en 2021 et 90 en 2022. «Les demandes augmentent; nous croyons attendre 100 corps pour 2023», précise Mélissa Brun, coordonnatrice des activités au laboratoire de simulation clinique.

L’Université McGill reçoit, quant à elle, de 90 à 100 donneurs par année. Un nombre qui est appelé à s’accroître en vertu de l’augmentation du nombre d’étudiants en médecine, révèle au Journal Joseph Dubé, administrateur du programme de don de corps pour la faculté de médecine.

Le laboratoire d’anatomie de l’Université Laval, à Québec, était en rénovation depuis deux ans et fonctionnait au ralenti, mais le rythme de croisière devrait reprendre. 

«Nous recevions de 50 à 80 corps par an avant la pandémie et nous comptons retrouver ce volume dès la prochaine année», explique Mélissa Pelletier, coordonnatrice du laboratoire d’anatomie. Elle aussi évoque l’augmentation prévue des effectifs étudiants en médecine qui pourrait faire croître le nombre de corps.

Au Collège de Rosemont, où on enseigne les techniques de thanatologie, on reçoit de 35 à 40 corps par année pour la formation. Mais pas d’augmentation prévue ici puisque le nombre de techniciens en formation est stable.

Comment expliquer cet intérêt des Québécois pour «donner son corps à la science»? Une partie de la réponse se trouve peut-être dans le fait que les frais funéraires seront assurés par les laboratoires d’anatomie. Après usage, les corps sont en effet incinérés aux frais des établissements d’enseignement et une cérémonie d’inhumation est organisée pour les familles.

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Mathieu-Robert Sauvé
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Un rare site pour étudier les cadavres en décomposition et c’est au Québec

Le site «Recherche en Sciences Thanatologiques [Expérimentales et Sociales]» (RESTES) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a permis de faire de nombreuses percées en sciences judiciaires à travers les années.

On a découvert, notamment, que les corps déposés sous nos latitudes avaient une forte tendance à la momification – la peau s’assèche comme un tambour avant de se dégrader – et que la décomposition se poursuivait même en plein hiver, au froid. 

Mathieu-Robert Sauvé
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«Ces découvertes apportent un nouvel éclairage sur le phénomène de la décomposition qui sera certainement utile quand on tentera de recréer les derniers moments d’une personne décédée dans des circonstances suspectes», explique Agathe Ribéreau-Gayon, chercheuse qui vient ici même en plein hiver avec sa pelle. 

Unique au Canada et l’un des rares au monde, les chercheurs y documentent scientifiquement depuis trois ans les processus de décomposition des cadavres, une science nommée taphonomie.

«Cette science aide les enquêteurs qui doivent reconstruire l’histoire des restes humains retrouvés dans la nature. Ce n’est pas par hasard que nous nous trouvons dans une érablière typique du Sud du Québec», explique Mme Ribéreau-Gayon. 

Mathieu-Robert Sauvé
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Même si elle ne permettra pas au Journal de pénétrer dans la zone sécurisée avec barbelés et caméras de surveillance où à peine une quinzaine de chercheurs ont les cartes d’accès, l’experte confirme que l’odeur âcre qui règne est bien celle de cadavres en décomposition. 

«Le plus récent date de 21 jours», dit-elle. 

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À la différence de plusieurs chercheurs qui se sont passionnés pour cette science en regardant des téléséries policières comme Bones ou des true crime sur des meurtres irrésolus, elle a abouti ici pour ses travaux sur les rituels entourant la mort. De fil en aiguille, la taphonomie l’a entraînée à l’UQTR qui a développé un important segment d’études en sciences forensiques depuis 2012. 

L’UQTR a réuni les fonds et obtenu l’approbation éthique nécessaire en 2020 et a embauché l’anthropologue Shari Forbes, qui avait créé un laboratoire similaire en Australie. Trois ans plus tard, les articles scientifiques se multiplient. 


Qu’est-ce qui se trame au RESTES?

On y étudie les insectes.

Si on peut connaître le temps de la mort à cause des insectes sur un cadavre, c’est à cause de travaux comme ceux qui se font sur le site RESTES.

Étudiante à la maîtrise, la biologiste Sophie Morel a passé tout l’été 2021 à recueillir des insectes sur les corps humains en décomposition du site de Bécancour. 

Mathieu-Robert Sauvé
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«Je suis venue deux fois par jour au début puis chaque jour pour recueillir des œufs et larves de différentes mouches qui s’alimentent ou se reproduisent sur des corps en décomposition», explique-t-elle. 

Non, elle n’a jamais eu de haut-le-cœur en effectuant ses observations. «Je me suis habituée très vite à voir des cadavres», dit-elle en riant. 

Jointe en France, Julie-Éléonore Maisonhaute a supervisé les travaux de Mme Morel. Entomologiste intéressée par les sciences judiciaires, elle tente notamment de déterminer le temps écoulé entre la découverte d’un corps et le moment du décès. «De nombreux facteurs comme la température et le taux d’humidité influencent le cycle de croissance des insectes, mais ils peuvent être de bons indicateurs dans les premiers jours et même les premières semaines suivant la mort.» 

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On peut s’y pratiquer sur des humains

Une excitation palpable émane du Laboratoire d’anatomie de l’UQTR alors que se termine le bootcamp des futurs chirurgiens plastiques, ce 24 août en fin d’après-midi. 

«Les étudiants peuvent s’exercer sur de véritables corps humains, ça fait toute la différence», commente la Dre Danielle Tremblay, cheffe du département de chirurgie plastique de l’Université de Montréal. 

Mathieu-Robert Sauvé
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Les 15 chirurgiens en formation ont pratiqué pendant deux jours de multiples interventions qui auraient été impossibles sur des animaux ou même sur des mannequins en plastique. 

«Rien ne vaut un vrai corps pour bien représenter la peau et les structures anatomiques», ajoute la Dre Tremblay, qui déplore l’abandon de la fermeture de la morgue à l’UdeM en 1996. 

En plus des médecins en formation, on reçoit en Mauricie des ambulanciers et des chercheurs en chiropratique, anatomie et anesthésie, notamment. Le professeur Detlev Grabs y a introduit une méthode d’embaumement révolutionnaire permettant différents types de dissection. 

«Nous ne sommes peut-être pas le plus gros en volume, mais nous sommes le plus multiusage», commente le responsable, l’anatomiste Hugues Leblond. 

L’UQTR souhaite donner un nouvel élan à ce secteur en créant un institut d’anatomie dont le budget de construction serait de plus de 37 M$. 


Donner son corps à la science, mode d’emploi

  • Toute personne de 14 ans et plus peut donner son corps à la science, selon le Code civil (article 43). Des parents peuvent l’autoriser pour des enfants plus jeunes. Cette décision peut être révoquée en tout temps.
  • Il suffit de signer sa carte de donneur qu’on peut trouver en ligne
  • Deux témoins de 18 ans et plus doivent signer le formulaire. 
  • Il est recommandé d’informer la famille de votre intention. 
  • Certains corps seront refusés, par exemple les personnes infectées de la COVID-19, qui demeurent contagieuses quelques jours après la mort. Des corps en surpoids ou trop maigres peuvent aussi être refusés.

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