Le 25 mai 1995, les Nordiques s’en allaient. Trente ans plus tard, Le Journal a consulté de nombreux intervenants en demandant: «Et s’ils étaient restés?». À quoi ressemblerait la ville, la rivalité, le hockey au Québec... Notre dossier vous propose d’imaginer cet univers parallèle malheureusement fictif, mais fascinant.
Imaginons un univers parallèle où, au terme de négociations corsées au printemps 1995, le gouvernement québécois a finalement acquiescé aux demandes des Nordiques, qui ont évité de justesse un déménagement à Denver. Trente ans et deux coupes Stanley plus tard, la LNH est toujours solidement installée à Québec, dans la capitale de l’ancienne province devenue pays. Fiction délirante ou réalité frôlée de près?
Histoire de souligner les 30 ans du départ de l’équipe, on n’allait quand même pas déranger Peter Stastny et Michel Goulet afin qu’ils parlent de leurs souvenirs de nouveau.
On n’allait pas non plus revenir sur le fameux but refusé d’Alain Côté (il était bon).
On vous amène plutôt à l’aventure, dans un scénario où les Nordiques n’ont jamais quitté Québec.
La une du «Journal» au lendemain de l’annonce de la fin de l’aventure des Nordiques, qui quittaient Québec pour Denver.Le Journal de Quebec
L’indépendance du Québec?
À force de discuter avec plusieurs personnes de milieux différents, l’un des éléments qui sont ressortis en tentant de refaire le monde actuel avec la présence des Nordiques, c’est que l’impact aurait pu largement dépasser le cadre du sport.
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Il suffit de se souvenir qu’en 1995, l’ambiance à Québec était plutôt morose. Les Nordiques se sont fait dire non par le gouvernement du Parti Québécois et sont partis. Le CIO a dit non à Québec dans sa candidature pour les Jeux olympiques de 2002. Et, bien sûr, la province s’est prononcée pour le Non, lors du référendum sur la souveraineté.
«Il faut se rappeler que partout au Québec, les francophones ont voté Oui à la hauteur de 60%. À Québec, le Oui n’avait même pas plafonné à 54%», rappelle Luc Dupont, professeur en communication et expert en marketing de l’Université d’Ottawa.
« Je ne suis certainement pas le premier à le dire, mais j’en suis convaincu, le Québec serait un pays si les Nordiques étaient restés »
- Luc Dupont, professeur en communication et expert en marketing de l’Université d’Ottawa
PHOTO TIRÉE DU COMPTE X DE LUC DUPONT
«Il faut qu’on m’explique le 6% de différence. Le camp du Oui a perdu par quelques dizaines de milliers de votes. À Québec, le départ des Nordiques a joué un rôle sur le vote des gens», ajoute-t-il.
Négociations tendues
Pour mieux se plonger dans ce qu’aurait pu être le futur avec les Nordiques, il faut d’abord revenir dans le passé.
Depuis la fin des années 1980, le président de l’équipe, Marcel Aubut, militait pour la construction d’un nouveau Colisée. La facture, très variable selon les différents reportages de l’époque, devait se situer quelque part entre 125 et 200 millions.
Le Parti Québécois, qui était au pouvoir, refusait de plier aux demandes d’Aubut, qui exigeait notamment que le gouvernement éponge les pertes de l’équipe pendant la construction de l’aréna.
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L'ancien premier ministre du Québec Jacques Parizeau et sa femme Lisette Lapointe assistant à un match opposant les Nordiques aux Canadiens au Colisée, en avril 1995, un peu plus d'un mois avant que le sort de l'équipe ne soit scellé.PHOTO LES ARCHIVES / JOURNAL DE QUÉBEC
Le premier ministre Jacques Parizeau proposait plutôt une entente selon laquelle son gouvernement se portait garant de 70% des pertes, jusqu’à concurrence de 21 millions. Autre accroc, Québec voulait acheter les actions de Marcel Aubut et l’un de ses partenaires, Marcel Dutil. C’était évidemment une fin de non-recevoir.
«On peut accuser la classe politique d’avoir manqué de flair. C’est le problème chez les intellectuels, qui sont très forts pour l’aspect logique, mais qui échappent complètement tout l’aspect émotionnel lié au sport», plaide Luc Dupont.
Rappelons que l’entreprise Comsat a obtenu les Nordiques pour environ 75 millions américains en 1995 afin d’en faire l’Avalanche du Colorado, dont la valeur est aujourd’hui établie à 1,65 milliard.
Une forme de nationalisme
Andrei Kovalenko et Joe Sakic, dans leur chandail orné de fleurs de lys, célèbrent un but des Nordiques lors de leur dernière saison à Québec, en 1995.Rene Baillargeon / Le Journal de Quebec
Cinq mois après la fin des Fleurdelisés au terme d’une élimination en six matchs dans une série les opposant aux Rangers de New York, le camp du Non l’emportait d’infinie justesse avec 50,6% des voix, au référendum.
Québec a voté Oui à 53,4%, une proportion moindre que dans plusieurs autres régions francophones.
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Est-ce que le cours de l’histoire des Nordiques pourrait donc avoir changé, de manière plus large, le contexte politique du Québec au grand complet?
«Les Nordiques, c’était une forme de nationalisme», convient pour sa part Martin Pâquet, professeur en sciences historiques de l’Université Laval.
«Les gens se reconnaissaient dans les Nordiques parce qu’ils étaient bleus avec la fleur de lys, comme le Québec. L’identification à une équipe sportive n’est pas uniquement passionnelle. Ça peut être foncièrement sérieux.»
Un facteur parmi d’autres
Dans l’édition du 17 mai 1995 du «Journal», la mort des Nordiques était annoncée, une semaine avant que l’événement ne devienne officiel, quand Marcel Aubut avait refusé l’offre du gouvernement Parizeau.LES ARCHIVES / JOURNAL DE QUÉBEC
De là à dire que M. Pâquet appuie entièrement la thèse proposée par son confrère Luc Dupont sur la défaite du camp du Oui au référendum en la reliant directement au départ des Nordiques, il y a une marge qu’il refuse de franchir.
«Dans le cas du Oui à Québec, on parle d’un ensemble de facteurs. Les Nordiques, c’est un élément parmi d’autres et je ne crois pas qu’il a été prédominant», opine-t-il.
Ce dernier cite, parmi les facteurs, des voix radiophoniques hostiles à l’égard de l’indépendance durant la campagne référendaire, ainsi que le contexte économique peu favorable de l’époque, avec un taux de chômage tournant autour de 12% dans la ville.
«Le Québec sortait d’une récession avec des déficits budgétaires importants. L’État devait faire des choix.», rappelle M. Pâquet.
«C’était une décision cruelle parce qu’il y avait un attachement certain à l’équipe, mais c’était une décision d’affaires», ajoute-il.
Au fil du temps, tout un chacun a été blâmé pour la fin des Nordiques. Certains en veulent toujours à Marcel Aubut pour la vente. D’autres pointent du doigt le gouvernement en place et l’ancien maire Jean-Paul L’Allier, qu’ils ont jugé désintéressés.
À l’époque, Jacques Parizeau estimait que les demandes des Nordiques étaient «ahurissantes», mais il déclarait du même souffle que «nous n’avons aucun intérêt politique à voir les Nordiques quitter Québec».
On ne saura jamais réellement à quel point le départ des Nordiques a soulevé la rancœur à Québec lors du référendum.