Et si Carey Price avait été repêché par Columbus?

Jean-Nicolas Blanchet
On est le 30 juin, il y a 20 ans. C’est le repêchage à Ottawa. Le Canadien a le 5e choix au total. Bob Gainey s’avance et laisse Trevor Timmins prendre le micro. «Le Cloub de hockey canadienne eyh fiewr de selectionaner from the Vancouver Giants: Gilbert Brulé.»
Le choix suivant, les Blue Jackets y vont avec un beau projet: Carey Price. On se dit que c’est mauvais signe pour Marc Denis, qui tient le fort à Columbus.
Mais pour Montréal, c’est le party. Le valeureux Richard Zednik a été le meilleur buteur avec 26. Ça prenait un marqueur et Brulé est un choix tout désigné. On le compare à Doug Gilmour (je vous le jure). Il vient de marquer 38 buts et amasser 87 points en 70 matchs dans la ligue de l’Ouest. Il a même récolté 169 minutes de punitions. Il peut être robuste.
Ici, on n’avait pas besoin de gardien de but. José Théodore a 29 ans. Et l’avenir, c’est Yann Danis, qui vient de connaître une saison exceptionnelle dans la ligue américaine. Jaroslav Halak n’est qu’un projet.
Pas pire choix
Sortons du monde parallèle. On parle de Price et du Temple de la renommée. Brulé, de son côté, n’a pas joué 300 matchs dans la LNH.

D’abord, il faut saluer le choix du dépisteur-chef Trevor Timmins, qu’on a souvent tendance à planter.
Ensuite, je me demande si Carey Price aurait été admis au Temple dès cette année avec Columbus.
Car, en 15 saisons, il a été candidat au trophée Vézina seulement deux fois (dont une fois où il l’a gagné).
Car parmi les gardiens qui ont joué plus de 500 matchs durant la même période que Price, pour le pourcentage d’arrêts, il est moins bon ou quasi identique à Tukka Rask, Roberto Luongo, Henrik Lundqvist, Pekka Rinne, Jaroslav Halak, Semion Varlamov, Ryan Miller, Marc-André Fleury, Braden Holtby et Devan Dubnyk.
Pour la moyenne de buts alloués, il est 8e, derrière Halak.
C’est le troisième qui a le plus de défaites.
On dit souvent que Price aurait eu des statistiques bien meilleures s’il avait eu un bon club devant lui. Regardez le nom des gardiens plus haut. Il y en a un maudit paquet qui jouait pour des clubs de chaudrons.
Des stats du Temple?
Regardez ça objectivement, juste avec les stats... Et dites-moi que Price a sa place sans l’ombre d’un doute au Temple de la renommée. Je ne vous crois pas.
Quelques très bonnes saisons, manque de constance, retraite prématurée, blessures, 45 défaites en 89 matchs éliminatoires... ça ne sonne pas Temple tant que ça.

Parlez-en à Curtis Joseph, cinquième gardien le plus victorieux de l’histoire. Il n’est pas au Temple.
Si Price avait joué sa carrière à Columbus avec des stats similaires, il serait même plutôt loin du Temple, à mon avis.
Mais il n’a pas été repêché par Columbus. Et c’est là toute la différence.
Seul au monde
J’ai un peu de misère avec la notion de pression avec les joueurs du Canadien. Votre tante infirmière, votre oncle éducateur en CPE ou votre cousine préposée aux bénéficiaires ont aussi beaucoup de pression, sans les millions de dollars qui viennent avec.
Mais j’admets que pour être gardien pour le Canadien de Montréal, il faut avoir la couenne dure. Surtout que le grand gardien avant toi, il a gagné le trophée Vézina, que l’autre d’avant aussi, que l’autre aussi, que l’autre aussi, etc.
En 2009, ESPN réalisait un reportage spécial sur Price titré L’homme le plus seul du sport et soulignait qu’il devait avoir «le poste sportif le plus stressant au monde».

Price manquait de constance et pouvait donner trois mauvais buts contre les Sharks en novembre. Mais quand ça comptait, oui, il «goalait sur la tête». C’était beau à voir. On peut penser à son année à la Dominik Hasek, à ses 16 victoires et aucun revers sur la scène internationale ou à ses dernières séries. C’était ridicule. Il était le meilleur gardien au monde quand il le fallait, ce n’était pas un mythe. Année après année, les joueurs disaient qu’il était le gardien le plus difficile à battre.
Lang, Gomez et Kostitsyn
Il faut aussi reconnaître que c’était souvent mauvais à Montréal, à part lui, durant quinze ans. Il était là quand on pensait qu’Andrei Kostitsyn allait révolutionner le hockey. Quand Robert Lang était le joueur du mois chez le CH. Quand Randy Cunneyworth coachait le club. Quand Scott Gomez était le premier centre. Disons que Price n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre. Chaque soir, ça reposait sur lui.
Il n’a pas gagné la coupe. Mais le Temple ne sert pas à empiler des bagues. Ce n’est pas un musée de statistiques. C’est aussi des reliques des symboles du hockey. Et Carey était beaucoup plus que des pas pires stats. Il a été dominant dans un marché intense aux attentes souvent déraisonnables.

Il a donné une voix aux communautés autochtones, il a eu le courage d’afficher sa vulnérabilité publiquement concernant sa santé mentale et sa dépendance. Peu l’ont fait avant lui.
Le Temple de la renommée du hockey accueille trop de monde, à mon humble avis. Mais Price méritait de rentrer par la grande porte dès cette année. Et ça vient d’un gars de Québec!