Essai: relire notre histoire


Jacques Lanctôt
Il y a plusieurs façons d’analyser l’histoire, celle du point de vue des conquérants, celle du point de vue des conquis, entre autres. L’anthropologue et professeur universitaire Gilles Bibeau s’intéresse aux deux, en abordant notre histoire sous l’angle d’un long conflit d’amour-haine entre deux empires coloniaux, la France et l’Angleterre, transporté ici en terre d’Amérique au XVIe siècle, alors que se produit la rencontre de l’Europe avec d’autres peuples que ceux déjà connus à l’époque. Ces deux puissances, tout comme l’Espagne, le Portugal et la Hollande, se sentaient investies d’une mission civilisatrice et cherchèrent donc à imposer leur langue, leur culture et leurs croyances religieuses aux populations autochtones, même si cela devait entraîner leur destruction.
Pour ce faire, Bibeau retourne au tout début de la formation des nations anglaise et française, pourtant culturellement proches, mais qui se sont éloignées l’une de l’autre, en l’an 410 précisément avec l’effondrement de l’Empire romain. La France et l’Angleterre, deux nations pourtant proches jusque vers l’an 1000, «se sont peu à peu distanciées sur de nombreux plans jusqu’à se transformer en de véritables nations ennemies qui s’affrontèrent dans une longue succession de guerres».
L’Angleterre était avantagée face à la France. Elle formait déjà un empire avec sa domination des autres nations des îles anglo-celtes: le Pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande. Mais alors que ses navigateurs cherchaient frénétiquement le passage du Nord-Ouest qui devait les conduire en Chine, les explorateurs français, eux, s’installaient petit à petit à l’intérieur des régions de l’Amérique du Nord et tissaient des liens commerciaux avec les populations autochtones. Cependant, les Anglais avaient en mer une longueur d’avance sur les Français puisqu’ils possédaient des chantiers maritimes performants ainsi que des écoles de formation pour les marins, contrairement à la France.
habilités à piller
Plusieurs de ces marins anglais, formés à la bonne école, se transformèrent en corsaires redoutés qui pillaient en haute mer les caravelles espagnoles chargées de richesses et volaient l’or et l’argent des comptoirs coloniaux espagnols, français et portugais. Ces pirates ou «chiens de mer» étaient porteurs d’autorisations signées par la reine d’Angleterre qui les habilitaient ainsi à piller, et plus spécialement les navires espagnols, pourvu qu’une partie de leur butin soit remis à la couronne royale britannique. «Aux yeux des Anglais, les actions des Sea Dogs étaient considérées comme patriotiques, un moyen de promouvoir la religion protestante et de renforcer la présence de la Royal Navy dans l’Atlantique.»
Esclavage
Les «chiens de mer» de la reine d’Angleterre s’adonnèrent également au lucratif marché des esclaves, en achetant en Afrique pour les revendre dans les colonies du Nouveau Monde. Un de ces pirates, Richard Hawkins, sera même anobli et promu amiral de la flotte d’Angleterre. «Sur l’espace de trois siècles – du XVIe au XVIIIe siècle –, de 11 à 15 millions d’Africains originaires des régions limitrophes de la Sénégambie et du golfe de Guinée, de l’Angola, du Congo et du Mozambique furent réduits en esclavage et déportés dans les Caraïbes, aux Amériques et en Asie portugaise.» En Nouvelle-France, la grande majorité des esclaves – 3604, soit 1132 Africains et 2472 Autochtones – furent employés comme domestiques dans des familles du milieu urbain, selon l’auteur.
Trois voyages transatlantiques se révéleront être le point de départ des colonies que l’Espagne, le Portugal et l’Angleterre établiront sur les terres habitées par les Autochtones d’Amérique: Christophe Colomb à l’île d’Hispaniola, Pedro Alvares Cabral sur les côtes du Brésil, et John Cabot quelque part sur les côtes de Terre-Neuve ou du Labrador. Mais le plus grand flou règne encore aujourd’hui à propos du premier Européen à mettre le pied en terre d’Amérique. «En accostant en 1464 sur les côtes de Terre-Neuve, le navigateur des Açores nommé João Vaz Corte Real aurait rejoint des terres aujourd’hui canadiennes près de 30 ans avant que Christophe Colomb n’arrive dans les Antilles.»
Par la suite, la France et l’Angleterre se livreront, pour un total de près de 35 ans, entre 1628 et 1759, des guerres pour la possession de la Nouvelle-France et le lucratif commerce des fourrures. Quant à l’Acadie, elle aura changé sept fois de main entre 1613 et 1755.
En général, ces guerres étaient des extensions des guerres en Europe entre ces deux puissances coloniales.
L’ouvrage de Bibeau se lit comme un grand roman d’aventures, tout en nous ouvrant les yeux sur l’univers souvent méconnu des Autochtones des terres glacées.
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Motifs raisonnables –Dix ans d’affiches politiques

Ce livre, qui commence avec le Printemps érable 2012 et se termine à la COP15 (Conférence de l’ONU sur la biodiversité), dix ans plus tard, en passant par la pandémie qui nous a tant marqués, «raconte une certaine histoire du langage politique au Québec», à travers les affiches de l’auteur Clément de Gaulejac, artiste et illustrateur. On y retrouve de nombreux acteurs de la grève étudiante convertie en mouvement de revendication sociale que la population du Québec a vécu jour après jour pendant plus de six mois, en 2012, avec ses moments d’euphorie, de mobilisations monstres, de créativité sans pareil et de drames personnels: le gouvernement de Jean Charest, les étudiants et leurs différentes organisations, d’où émergeront quelques leaders, la police et sa répression violente, sans oublier le célèbre Anarchopanda, Banane rebelle et l’agente 728, spécialiste du poivre de Cayenne.
Dommage que l’ensemble de l’ouvrage respire un peu trop à mon goût le programme de QS, où, comme il faut s’y attendre, le PQ est ridiculisé dans son projet de protéger notre identité (histoire, culture, fierté québécoises: «une petite saveur chauvine», vraiment?), tout comme les mesures du gouvernement Legault pour combattre la pandémie.
Ce chemin sous mes pas

Renée Dupuis est devenue avocate à l’époque où très peu de femmes embrassaient cette profession réservée normalement aux hommes. Ce n’était pas par désir d’«arriver», mais plutôt pour défendre ceux et celles qui sont dans le besoin ou qui sont discriminés. Le Québec était alors plongé dans les événements d’Octobre 1970 et le gouvernement fédéral avait voté la Loi sur les mesures de guerre et fait emprisonner près de 500 personnes sans mandats. Dans les facultés de droit, des assemblées avaient été organisées pour en discuter et celle de l’Université Laval avait été la seule à appuyer l’initiative du gouvernement fédéral. «J’ai fait partie, dit-elle, d’une très petite minorité à voter contre cet appui à une décision qui constituait un empiétement direct et majeur sur les droits démocratiques des citoyens québécois, dont la très grande majorité n’était pas engagée dans ces troubles ni dans des actions violentes.»
Très tôt, dès son stage, elle découvre la dure réalité des Autochtones du Québec. Cette préoccupation ne la quittera plus et elle deviendra une spécialiste des droits des femmes et du droit relatif aux Autochtones. Ce sera le combat de toute une vie.