Essai: la mer qu’on voit danser...

Jacques Lanctôt
La mer autour de nous fut publié une première fois en 1951, puis réédité et mis à jour en 1960. Son auteure, Rachel Carson, était alors la plus grande spécialiste des pêches aux États-Unis. La publication de son ouvrage Printemps silencieux, en 1962, signe l’acte de naissance du mouvement écologiste, né sous le signe des océans, alors qu’elle y démontrait « les effets néfastes des insecticides comme le DDT sur la biodiversité terrestre et aquatique ». Deux ans plus tard, en 1964, cette pionnière était emportée par un cancer, à l’âge de 58 ans.
Dans cet ouvrage-phare, qui s’adresse au grand public et non pas aux seuls océanographes et autres spécialistes, nous apprenons tout ce qu’il faut savoir sur les océans : « la couleur de l’eau, la salinité, les vagues, les marées, les courants, le relief sous-marin et tous les êtres qui y pullulent, petits et grands ».
Si pendant des siècles, les habitants de la Terre n’ont fait que « passer sur l’eau, traversant au plus vite ces étendues vides et stériles chargées de mythes et de légendes », au tournant du 20e siècle, avec Rachel Carson, nous entrons littéralement dans l’eau, en explorant ses fonds marins, qui couvrent la plus grande partie de la surface de notre planète et qui sont sans cesse agités par de forts courants.
Les premiers signes de vie
Or, l’exploration des fonds marins a engendré de nouvelles craintes pour l’humanité. Depuis la fin des années 1950, la mer est devenue une immense poubelle, où on entrepose même des déchets radioactifs, provenant de l’activité atomique, dans des barils de béton, dont la durée de vie est incertaine. Ces sites sont parfois situés à seulement 160 kilomètres des côtes.
« Malgré les dénégations de l’Agence de contrôle atomique, ces pratiques n’offrent aucune garantie de sécurité », déplorait l’auteure. Et que dire maintenant des plantes et des animaux marins que nous consommons et dans lesquels se concentre une grande quantité de ces déchets radioactifs ? La planète que nous habitons s’est formée il y a quelque 2500 millions d’années. C’est ce que nous disent les roches à sa surface. Mais la vie a tardé encore et encore, jusqu’à ce que les conditions soient finalement réunies.
« Il semble probable que, dans la chaude salinité de cette mer originelle, certaines substances organiques se soient formées de dioxyde de carbone, de soufre, de phosphore, de potassium et de calcium », pour donner naissance à des molécules complexes qui développèrent la faculté de se reproduire sans fin, « les premiers enfants de la mer ».
Car c’est dans la mer que les premiers signes de vie apparurent, avec les animaux invertébrés.
Ce ne fut qu’il y a 350 millions d’années qu’un animal sortit pour la première fois de l’eau.
« C’était un arthropode, un membre de ce grand embranchement qui, plus tard, engendra les crabes, les homards et les insectes. Il devait ressembler à un scorpion moderne ; mais, contrairement à ses descendants, il ne rompit jamais tout à fait le lien qui le rattachait la mer, menant une existence étrange, mi-terrestre mi-aquatique, un peu comme les crabes qui courent aujourd’hui le long des plages et retournent de-ci de-là dans la mer pour y mouiller leurs branchies. » Mais il ne faut pas négliger le rôle des plantes dans la colonisation de la Terre, nous dit Carson.
À lire sur le bord de la mer
Or, tous ces animaux qui quittèrent la mer pour s’adapter à la vie terrestre ont emporté avec eux un élément de leur premier milieu — la vie marine —, qui les relie entre eux :
« Poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux à sang chaud, mammifères, chacun de nous porte en ses veines un fluide salin qui combine le sodium, le potassium et le calcium dans presque la même proportion que l’eau de mer. »
Ce lointain ancêtre, passé de l’état unicellulaire à l’état pluricellulaire, avait élaboré « un système circulatoire dont le liquide était simplement de l’eau de mer ». Fascinant !
Si vous partez en vacances sur le bord de la mer cet été, ou même le long de notre majestueux fleuve, c’est le livre à emporter avec vous, pour comprendre que « notre monde est avant tout un monde d’eau, un globe dominé par son manteau marin, où les continents ne sont que des accidents temporaires à la surface de cette mer qui nous entoure ».