Essai: captivante et surprenante Colombie

Jacques Lanctôt
La Colombie, « deuxième pays le plus riche de la planète en matière de biodiversité », vit actuellement un moment doublement historique. Premièrement, sa population a élu, pour la première fois de son histoire, un gouvernement de gauche dirigé par un ex-guérillero, Gustavo Petro. Deuxièmement, le pays est engagé dans un processus de paix, alors que dialoguent à Cuba des représentants du gouvernement colombien et de la guérilla ELN (Armée de libération nationale), sous l’auspice de plusieurs pays européens, de l’ONU et de la Conférence épiscopale de Colombie.
Malheureusement, la Colombie cumule plusieurs autres records ou premières places, dont celles du premier producteur de cocaïne au monde et du nombre le plus élevé d’assassinats du continent. Le bien connu Pablo Escobar, « tantôt Robin des Bois bienfaiteur des pauvres et des opprimés grâce à l’argent du narcotrafic, tantôt bête sanguinaire et sans scrupules face à quiconque ose lui résister », jadis le criminel le plus recherché de la planète, est mort il y a trente ans, mais la violence n’a pas cessé pour autant.
Informer, non sans risques
C’est ce pays dans tous ses états – en Colombie, il n’y a que deux classes, les riches et les pauvres, la classe moyenne ayant disparu – que nous présente le journaliste Jean-Michel Leprince, qui pendant toutes ces années de guerre civile nous a informés assidûment pendant trente-sept ans à la télé de Radio-Canada, non sans risques. « Il ne s’agit pas ici de souvenirs ni de notes de voyage, dit-il, mais de témoignages précis de ce qui s’est passé réellement sur le moment. »
Son baptême colombien, Jean-Michel Leprince le reçoit avec l’éruption, à la mi-novembre 1985, du volcan andin Nevado del Ruiz, qui fera au moins vingt-cinq mille morts. Une véritable catastrophe humanitaire alors que les secours peinent à arriver.
Une semaine après cette tragédie a lieu un autre événement majeur : la prise du palais de justice de Bogota par le mouvement de guérilla M-19. Vingt-huit guérilleros participent à l’attaque-surprise, dont le but est de dénoncer les abus aux droits de la personne et de faire le procès du président de la République, qui est sommé de se rendre sur place. Ce sera le massacre. Plus de trois cent cinquante personnes se trouvaient à l’intérieur du bâtiment, dont des juges et des avocats. Le siège de l’armée dure deux jours. Le gouvernement refusera de négocier et l’armée pénétrera violemment à l’intérieur du palais de justice avec des chars d’assaut. Bilan : plus de cent morts.
Une dizaine de survivants, soupçonnés d’avoir participé à l’attaque, disparaîtront à jamais, après avoir été torturés. Le M-19, mouvement de guérilla urbaine – les deux autres formations de guérilla étant rurales – s’était illustré au cours des années précédentes par une série d’enlèvements spectaculaires : narcotrafiquants, syndicalistes véreux, diplomates, politiciens de droite, etc. Il faut savoir que l’actuel président colombien fut un membre fondateur du M-19, avant d’être élu sénateur, puis maire de Bogota.
Mais Pablo Escobar dans tout cela ?
Escobar et le M-19
Différentes hypothèses circulent selon lesquelles Escobar aurait financé l’opération du M-19. À ce moment, le gouvernement menait un projet de loi concernant l’extradition vers les États-Unis des narcotrafiquants reconnus coupables et la Cour suprême était en train de discuter de la constitutionnalité du projet de loi.
Au quatrième étage du palais de justice se trouvaient tous les dossiers des « extradables ». Durant l’opération, six mille dossiers, dont ceux de Pablo Escobar, seront brûlés. Le règne de terreur de Pablo Escobar venait de commencer « et il ne cessera pas de croître en horreur. Il va bouleverser l’histoire de la Colombie, et la violence qu’il inflige à son pays et au monde entier par ses méthodes innovatrices en matière de narcotrafic et de cruauté ne prendra pas fin avec sa mort en 1993 ».
Comme le dit Bernard Derome en préface, « La faute à Pablo Escobar se dévore comme un roman policier, à la différence près qu’il ne s’agit pas d’une fiction, mais de la stricte vérité, basée sur des faits, vérifiés deux fois plutôt qu’une par un auteur crédible ».
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