Envers et contre tous : le retour de Vince McMahon


Patric Laprade
« Qu’est-ce que Vince McMahon va faire de son temps? »
Voilà une question que tout le monde impliqué dans le monde de la lutte se posait lorsque Vince McMahon a quitté la WWE l’été dernier.
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On a eu la réponse plus tôt que prévu et ce n’est pas celle qu’on s’attendait.
En effet, la saga de Vince McMahon a pris une autre tournure alors que l’ancien PDG et président du conseil d’administration est redevenu président du conseil d’administration de la WWE. Il s’agit d’une situation dure à expliquer lorsqu’on connaît les raisons pour lesquelles on a forcé Vince McMahon à quitter son poste, mais plus facile à comprendre lorsqu’on la regarde d’un point de vue strictement d’affaires.
Le tout remonte à quelques semaines déjà.
McMahon avait laissé savoir qu’il voulait revenir au sein de la WWE, justifiant qu’il avait été mal conseillé en quittant ses postes de PDG, président du C.A. et chef de l’équipe créative de la compagnie.
Dois-je rappeler que les raisons de son départ sont des allégations d’agressions sexuelles et des accusations d’avoir payé ces femmes pour leur silence et de ne pas avoir déclaré les sommes d’argent remises dans les états financiers de la compagnie?
Peu de temps après cette déclaration, deux femmes poursuivaient formellement McMahon pour agression sexuelle, devenant ainsi les deux premières le poursuivent officiellement. L’une des deux, la gérante d’un spa en Californie, ne faisait pas partie des cas répertoriés l’été dernier.
Je suis d’ailleurs convaincu que ce n’était pas une coïncidence. Il y a fort à parier, même si je n’ai pas de preuves, qu’on avait volontairement fait couler l’information dans les médias dans le but d’arrêter les idées folles de l’ancien PDG. D’ailleurs, la déclaration de McMahon n’avait pas bien été reçue du côté de Wall Street, alors que l’action de la WWE avait chuté à la suite de celle-ci.
Je pensais alors que c’en était fini pour Vince, qu’il ne reviendrait plus jamais dans aucun rôle au sein de la compagnie mise à part son statut d’actionnaire majoritaire de la WWE. C’était sous-estimer l’homme de 77 ans.
Prendre la WWE en otage
Puis, le 20 décembre dernier, McMahon a fait une demande officielle au conseil d’administration de la WWE afin d’y revenir. Une semaine plus tard, à l’unanimité, le C.A., dont font partie sa fille Stephanie, son genre Paul « Triple H » Levesque et le co-PDG de la compagnie, Nick Khan, ont refusé la demande de McMahon. Parmi les justifications, on mentionne que ce ne serait pas prudent et dans les intérêts supérieurs des actionnaires que McMahon revienne avant que le gouvernement ait complété son enquête. Le C.A. lui a donc demandé d’attendre la fin de cette enquête.
C’est alors que jeudi dernier, McMahon, dans une manœuvre audacieuse, a pris la compagnie en otage.
Il a menacé la WWE que si on ne lui permettait pas de revenir au sein du C.A., il allait refuser toute transaction impliquant la vente de la compagnie ainsi que toute transaction impliquant les médias. En d’autres mots, il refuserait toute nouvelle entente télévisuelle.
En effet, McMahon, par son statut d’actionnaire majoritaire, alors qu’il détient 81% des actions avec droit de vote, aurait effectivement pu bloquer toute vente ou transaction. Et comme rien ne peut le forcer à vendre ses actions, pas même la prison, il plaçait le C.A. dans une position assez délicate.
Il faut savoir ici que les ententes que la WWE a signées avec USA Network et FOX viennent à échéance en octobre 2024. Si on se fie à la dernière ronde de négociations, le tout s’était réglé environ un an avant. C’est donc dire que des négociations devraient débuter dans les prochains mois.
C’est d’ailleurs là-dessus que McMahon a capitalisé dans sa lettre envoyée au C.A.
« La seule façon pour la WWE de mettre pleinement à profit cette opportunité est pour moi de revenir en tant que président du C.A. et de soutenir l’équipe de direction dans les négociations pour nos droits médiatiques et de combiner cela avec un examen des alternatives stratégiques, a mentionné McMahon. Mon retour permettra à la WWE, ainsi qu’à toutes les parties impliquées de s’engager dans ces processus en sachant qu’elles auront le soutien de l’actionnaire majoritaire. »
Quand le génie frôle la folie
Bien que McMahon ait d’abord voulu faire les choses de la bonne façon en demandant la permission au C.A., son statut d’actionnaire majoritaire lui permet un droit que personne d’autre n’a au sein de la compagnie : celui de congédier et de nommer qui il veut sur le C.A.
Et c’est finalement ce qu’il a fait vendredi dernier, au lendemain de la lettre de menaces : il s’est tout simplement réintégré au sein du C.A.
Mais pour éviter une chute de l’action, et c’est là que le plan de McMahon est presque diabolique, il a fait son annonce en ajoutant qu’il ne revenait que pour une raison : vendre la compagnie.
Et tous ceux et celles qui comprennent comment les marchés boursiers fonctionnent vont vous dire qu’une spéculation de vendre une compagnie publique va faire augmenter le prix de l’action, parce qu’habituellement, une compagnie se vend plus cher que son évaluation.
Si par exemple une compagnie est évaluée à 1 milliard, mais qu’on prévoit qu’elle pourrait se vendre 80% de plus, on n’hésitera pas à acheter l’action à 25% de plus que sa valeur actuelle, parce qu’on pense tout de même faire un profit lors de la vente. Ce qui explique la montée en flèche de l’action.
Et force est d’admettre que la stratégie a fonctionné. Entre jeudi soir et vendredi soir, l’action avait monté de 17%.
Vince avait une carte à jouer. Une seule. Et digne d’un film ou d’un docu-suspense, il a décidé d’y aller all in comme on dit à Vegas.
Mais ce n’était pas tout.
En plus de revenir au sein du C.A., il a amené avec lui les deux anciens co-présidents de la compagnie, Michelle Wilson et George Barrios.
Si vous avez suivi l’actualité de l’entreprise dans les dernières années, Wilson et Barrios avaient été congédiés par McMahon lui-même en janvier 2020, car ils n’étaient pas d’accord avec la stratégie de Vince de vouloir vendre la licence du WWE Network à une tierce partie. McMahon avait donc montré la porte à Wilson et Barrios pour les remplacer quelques mois plus tard par le désormais célèbre Nick Khan. La transaction a finalement eu lieu et on est obligé d’admettre que McMahon avait raison, alors que les droits sur sa chaîne ont été vendus pour cinq ans au coût d’un milliard à Peacock.
Toutefois, le congédiement de Wilson et de Barrios n’avait pas été une décision populaire pour les marchés boursiers alors que dans les jours qui avaient suivi leur départ, l’action de la WWE avait chuté de façon considérable.
Puisque trois nouveaux membres s’ajoutaient sur le C.A., trois devaient partir. McMahon a donc congédié JoEllen Lyons Dillon, qui avait nommé en septembre dernier, Jeffrey R. Speed, qui y siégeait depuis 2008 et Alan M. Wexler, qui y était depuis 2018.
À la suite de cette annonce, deux membres ont aussi décidé de démissionner : Ignace Lahoud, qui y avait été nommé en mai 2022 et Man Jit Singh, l’ancien président de Sony Pictures, qui y était depuis cinq ans et qui, surtout, était l’enquêteur en chef de
l’enquête interne que menait le C.A. depuis qu’il avait été mis au courant des paiements que McMahon avait faits à ses présumées victimes.
C’est donc avec ces deux nouveaux alliés, dans une situation pour le moins tordue et ce, à plusieurs niveaux, que McMahon fait son retour à la WWE.
Il faut avouer que d’un point de vue strictement financier, il s’agit là d’une excellente décision. Non seulement Wilson et Barrios ont la cote dans le milieu, mais ils avaient également été des joueurs clés dans les négociations avec Fox et USA. McMahon va donc chercher deux personnes qui pourraient fortement l’aider à accomplir sa mission, c’est-à-dire vendre la compagnie au plus haut prix possible.
De retour dans le but de vendre; est-ce de réelles intentions?
Parlant de mission, il est légitime de se demander quelles sont les réelles intentions de McMahon.
« Cette position n’est pas motivée par mon intérêt personnel ou un manque de confiance dans l’équipe de direction de la Société, mais plutôt par mon engagement à faire ce qu’il y a de mieux pour la WWE et tous ses actionnaires et par ma ferme conviction que maximiser le résultat de ces processus nécessitera une coordination étroite et une prise de décision unifiée et efficace », a déclaré McMahon, ajoutant qu’il n’avait pas l’intention de prendre le poste de co-PDG de Stephanie et Khan, ou celui de chef de l’équipe créative de Levesque.
Mais bon, ce n’est pas comme si Vince McMahon n’avait jamais menti.
Il faut aussi comprendre la différence des rôles.
Un PDG est celui qui dirige la compagnie. C’est celui qui sert de pont entre le C.A. et la compagnie. Un président du conseil d’administration agit habituellement comme consultant, une éminence grise au sein de la compagnie, comme lorsque Bill Gates a quitté son poste de PDG de Microsoft pour garder uniquement celui de président du C.A.
Mais bon, ce n’est pas comme si Vince McMahon n’avait pas plus d’un tour dans son sac.
Les plus sceptiques vous diront que c’est la première étape pour que McMahon reprenne le contrôle complet de la compagnie, pour qu’il reprenne tous les rôles qu’il occupait il y a six mois. Après tout, la seule chose dans laquelle McMahon a réellement eu du succès c’est dans la lutte professionnelle. Il ne sait rien faire d’autre. Il est encore en bonne forme physique malgré son âge et est un bourreau de travail. Si on entend dire que McMahon est en coulisses ou pire, à la position de Gorilla, ça va en dire beaucoup sur ses intentions.
Les plus optimistes pensent qu’il veut vraiment vendre pour ainsi laisser un meilleur héritage que celui d’un présumé agresseur. L’histoire du fils, qui a acheté la compagnie de son père, qui y a mis toutes ses économies et qui la vend 40 ans plus tard pour des milliards de dollars est un bien meilleur scénario.
Personnellement, je crois qu’il s’agit d’un mélange des deux.
Je crois que Vince veut vendre, mais en se négociant une clause qui lui permettra d’être en charge du produit pour le nouveau propriétaire. Chose qu’il n’aurait pu faire si la compagnie avait été vendue sans son implication. Et une fois qu’il ne serait plus actionnaire, il n’y aurait plus aucune façon pour lui de revenir au sein de la compagnie.
Est-ce qu’il va réussir ou est-ce que cet élément viendra décourager un acheteur potentiel? Ça reste à voir.
NBC, Disney et Netflix dans la course?
Si ses intentions sont réelles, le but serait de vendre la compagnie avant de négocier les prochaines ententes télévisuelles pour Raw, SmackDown et NXT.
La compagnie aurait d’ailleurs embauché JP Morgan pour les aider avec la potentielle vente. Si tel est le cas, ce serait un signe dans la bonne direction.
Selon certains experts et en vertu du fait que la WWE vaut présentement plus de 6 milliards, les compagnies ou intérêts suivants pourraient être intéressés :
Comcast (NBC), Fox, Disney (ESPN), Warner Bros. Discovery, Netflix, Amazon, Liberty Media, CAA, ainsi que des intérêts en provenance des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite.
Comcast, propriétaire de NBC Universal et donc du USA Network et de Peacock, est la compagnie qui se doit d’être considérée comme étant la plus propice à acheter la WWE étant donné l’argent qu’elle dépense déjà pour Raw et pour la chaîne de la WWE. Pour des raisons similaires, je pourrais aussi voir Fox être intéressée, elle qui dépense plus d’un milliard pour les droits de SmackDown.
Disney et la WWE sont déjà partenaires pour le contenu de la chaîne de la WWE en Asie du Sud-est. Warner Bros. Discovery, qui est propriétaire de TBS, là où AEW est diffusé, a déjà dit que malgré les coupes budgétaires, ils sont à la recherche de propriétés intellectuelles intéressantes, ce que la WWE est.
Ce n’est pas un secret que Netflix et Amazon aimeraient avoir du sport en direct et la WWE est considérée comme telle dans le marché télévisuel, mais le fait que la chaîne de la WWE appartienne à Peacock jusqu’en 2026 pourrait être problématique.
Liberty Media, propriétaire entre autres du championnat de la Formule Un, pourrait vouloir ajouter une autre marque connue à travers le monde entier. Endeavor, propriété du super agent Ari Emmanuel, est l’unique propriétaire de l’UFC depuis 2021. Être propriétaire de l’UFC et de la WWE pourrait être intéressant. La firme d’agents CAA, ancien employeur de Nick Khan, doit être considérée étant donné son lien avec le co-PDG de la WWE et finalement, il ne faut jamais sous-estimer l’argent des Émirats arabes unis et surtout, celui de l’Arabie saoudite.
Plusieurs inquiétudes à avoir
Qu’est-ce que cela veut dire pour le produit? Qu’est-ce que cela veut dire pour les amateurs qui regardent l’émission chaque semaine.
À court terme, d’ici un mois ou deux, probablement rien.
Par contre, si le but est réellement de vendre, il se pourrait qu’on procède à des coupures, question d’être plus alléchants pour un acheteur potentiel, coupures que nous n’avons pas vues depuis le départ de McMahon. Au contraire, Levesque a procédé à plusieurs embauches, principalement des lutteurs et lutteuses que McMahon avait congédiés depuis 2020.
Bien que McMahon ne pourrait pas, dans son rôle actuel, décider du talent à couper, il pourrait fortement suggérer aux deux PDG des coupures considérables dans le but de vendre à un meilleur prix et ainsi, penser aux intérêts supérieurs des actionnaires.
Est-ce que je serais tout de même inquiet si mon nom était Branson Reed, Emma ou William Regal? Ou est-ce que je commencerais à avoir des regrets?
Absolument. En tout cas, je poserais des questions.
Est-ce que ça peut aussi venir changer la perception que les lutteurs et lutteuses à l’extérieur de la WWE avaient depuis que Levesque était le patron?
Tout à fait. On est passé de « la WWE n’est pas une option », à « la WWE est une option » à « la WWE n’est peut-être plus une option ».
Est-ce que le talent actuel est content de cette situation?
De ce que je comprends, non. Le climat de travail était beaucoup moins stressant depuis son départ. Et la manière qu’il est revenu, en prenant la compagnie en otage, n’a pas été bien vue par plusieurs.
Il y a cependant une autre inquiétude à avoir : l’acheteur.
Les finances de la WWE se portent bien, très bien même.
Mais admettons que des moments plus difficiles survenaient dans 10 ans, est-ce que le nouveau propriétaire sera plus enclin à faire tout en son possible pour sauver la compagnie, comme McMahon l’a fait au début des années 1990?
Tout dépendant de l’acheteur, la WWE pourrait devenir qu’une division d’une bien plus grosse entreprise. Et en fin de compte, la seule chose que ces conglomérats veulent est d'être profitable.
Ted Turner aurait tout fait pour sauver la WCW, parce qu’il avait un amour particulier pour la lutte professionnelle, une des premières émissions qui lui avaient permis de connaître du succès avec la popularité du câble dans les années 1970. Mais lorsque Time-Warner a fusionné avec AOL et que Turner n’était plus le patron, tout ce qui comptait était le résultat.
Aussi, est-ce que l’acheteur voudra embaucher celui qui a créé la compagnie, malgré sa réputation, les allégations et l’âge de McMahon? Ou voudra-t-il plutôt faire confiance à l’équipe qui est en place et qui a prouvé que la WWE n’est pas tombée en ruine depuis le départ de Vince?
L’autre question est la capacité du nouvel acheteur de comprendre ce qu’il vient d’acheter. Est-ce que Disney par exemple voudra rendre le produit plus fantastique, un produit axé davantage sur les enfants en bas âge? Est-ce qu’on pourrait aller jusqu’à dénaturer la lutte professionnelle dans l’espoir de la fusionner davantage avec la philosophie globale de la compagnie mère.
Par contre à l’inverse, si Comcast s’en portait acquéreur, des cotes d’écoute plus faible n’auraient plus le même impact étant donné qu’on serait propriétaire du produit.
Un beau grand bateau?
Il est dur pour moi de terminer ce texte sans avoir une pensée pour les victimes de McMahon, qui voient alors leur présumé agresseur revenir dans l’actualité et ce, de manière relativement positive. Un peu comme si après six mois, Gilbert Rozon ou Éric Salvail étaient revenus à la tête de leur compagnie respective.
Est-ce que Vince McMahon vient de débuter le plus grand « work » de sa carrière? Comme dirait Gerry Boulet, est-ce que « vous m’avez monté un beau grand bateau »? Ou bien si pour une fois, il est franc dans ses intentions?
Chose certaine, je ne pensais pas vous parler de Vince McMahon en 2023 et encore moins dans les premiers jours de la nouvelle année. Plus rien ne me surprend à partir de maintenant, mais dites-vous que cette saga est loin d’être terminée.