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Encore des obstacles à l’avortement au Québec

Photo d'archives / Fédération du Québec pour le planning des naissance
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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2022-06-27T11:30:00Z
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Même si la province a gagné beaucoup de combats sur la question des droits en santé sexuelle et reproductive, il y a encore beaucoup à faire. Après 50 ans de lutte féministe, la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) dénonce les lacunes qui persistent en matière d’accès à l’avortement et d’éducation à la sexualité.

Au Canada, le droit à l’avortement n’est pas protégé par une loi, mais bien par la jurisprudence. La décision «R. contre Morgentaler», rendue en 1988 par la Cour suprême, avait décriminalisé l'interruption volontaire de grossesse (IVG) en s'appuyant sur la Charte canadienne des droits et libertés. 

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Le statut du fœtus est également bien établi sur le plan juridique. Aux termes de la loi, la femme enceinte et l’enfant à naître ne forment qu’une seule personne. 

«La légalité de l’avortement n’est pas en péril au Canada», assure Jess Legault, responsable du dossier de l'avortement à la FQPN, un organisme fondé en 1972 pour défendre les droits sexuels et reproductifs. 

Jess Legault, responsable du dossier de l'avortement à la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN)
Jess Legault, responsable du dossier de l'avortement à la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) Photo Étienne Brière

Surveiller et éduquer  

Ce que les militantes de la FQPN affirment est qu’il y a une différence majeure entre le droit et l’accès à l’avortement, d'autant que le second n’est enchâssé dans aucune loi fédérale. 

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«Ottawa contrôle la légalité de l’avortement, mais ce sont les provinces qui en contrôlent l’accès, comme les soins de santé sont sous gouvernance provinciale. Il faut garder une veille», fait valoir Mme Legault. 

«Il va falloir surveiller la montée de la mentalité conservatrice», prévient quant à elle Louise Desmarais, militante féministe qui lutte pour le droit à l’avortement depuis les débuts de la FQPN, il y a 50 ans. 

Surtout avec le jugement que vient de rendre la Cour suprême des États-Unis, qui a invalidé vendredi l’arrêt «Roe contre Wade» de 1973, qui protégeait le droit des femmes à l'avortement. 

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Depuis 1988, pas moins de 50 projets de loi ont tenté d’interdire l’accès à l’avortement au Canada, précise la Fédération. 

«La tentation, c’est de vouloir retourner les femmes à leur rôle de mère et d’épouse. L’antiféminisme, c’est ça. [...] Dans notre société, la raison d’être d’une femme, biologiquement, c’est la maternité. Cette résistance est encore là», met-elle en garde. «Les femmes se sentent encore coupables parce qu’on continue de les éduquer au destin fondamental d’être mère.» 

L’idée, selon la FQPN, est plutôt de miser sur l’éducation à la sexualité, qui est« pitoyable au Québec», selon Louise Desmarais. «C’est la pierre angulaire, la prévention de tout», suggère quant à elle Jess Legault. 

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JOEL LEMAY/AGENCE QMI
JOEL LEMAY/AGENCE QMI

Le problème avec la pilule abortive  

Au Canada, l’avortement par médicament est devenu légal en 2015. Certaines restrictions qui étaient en place depuis ont été retirées en 2019 partout au pays sauf au Québec, où le Collège des médecins continue de les maintenir. 

Pourtant, de nouvelles études avaient alors démontré que le médicament était sécuritaire et sans danger, rappelle Mme Legault. 

«Pour avoir le droit de prescrire la pilule abortive, il faut faire un stage clinique en avortement chirurgical. C’est le seul médicament pour lequel il faut avoir ce genre de formation, et ce ne sont vraiment pas tous les omnipraticiens qui l’ont», dit-elle. 

La pilule peut être prescrite jusqu'à la neuvième semaine de grossesse. Il arrive cependant que des femmes souhaitant y recourir en soient empêchées parce que, les délais d'attente s'allongeant, elles ne peuvent rencontrer à temps un médecin de famille formé en avortement chirurgical. 

«C’est clairement une barrière à l’accès», lance-t-elle. 

Au Québec, moins de 10% des IVG sont pratiquées avec la pilule abortive. Ce taux grimpe jusqu'à 50% dans d'autres provinces canadiennes, dont la Colombie-Britannique.

Trop de centres anti-choix  

La Fédération dénonce également la surreprésentation des «centres d’accompagnement à l’avortement», qui sont en fait des ressources anti-choix. 

«On est rendu à 23 centres anti-choix qui se présentent comme des centres d’accompagnement pour les femmes enceintes», déplore Jess Legault. «Ils ne parlent d’avortement que si la femme le mentionne. Ils vont dire que c’est dangereux, que ça nuit à la fertilité. Ils donnent de la fausse information.» 

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Ces centres sont principalement financés par des dons religieux. 

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En contrepartie, seules trois ressources pro-choix «énormément sous-financées» — SOS Grossesse à Québec et en Estrie, et Grossesse-secours à Montréal — offrent de l’accompagnement aux personnes qui désirent interrompre leur grossesse, ajoute-t-elle.

Manque de cliniques d’interruption de grossesse  

Il existe à ce jour une cinquantaine de cliniques d’avortement au Québec, mais certaines régions ne bénéficient que d’un seul point de service. 

«Et parfois, il est ouvert seulement une journée par semaine», précise Mme Legault. 

Dans Chaudière-Appalaches et la région de la Capitale-Nationale, par exemple, une seule clinique dessert l'ensemble de la population. Ce manque de services limite l’accès des femmes qui vivent loin de ces endroits, et fait augmenter les délais d’attente. 

«Certains centres exigent plus d’un rendez-vous. Quand il faut faire des heures de route et demander deux ou trois jours de congé pour aller se faire avorter, ça commence à mettre des limites», signale-t-elle. 

La contraception gratuite  

L’une des revendications des féministes des années 1970 était la contraception gratuite. Louise Desmarais croit que cette bataille est encore d’actualité. 

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«C’est majeur et ça m’apparaît fondamental», souligne la militante. «On sait que, quand la contraception est gratuite, on a une diminution des avortements. C’est prouvé.» 

Elle croit par ailleurs que la santé des femmes est un sujet encore sensible au Québec. 

«On consulte beaucoup, mais le système de santé n’est pas fait pour les femmes. L’appareil médical est encore très paternaliste à l’égard des femmes. Elles continuent d’être traitées comme des mineures. Des jeunes femmes qui ont décidé de ne pas avoir d’enfant demandent une ligature des trompes de Fallope et on la leur refuse! On leur dit qu’elles vont le regretter», dénonce Mme Desmarais.

 

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