En lice pour le Booker Prize


Karine Vilder
Après avoir remporté le Pulitzer de la fiction avec L’arbre-monde, l’écrivain américain Richard Powers pourrait fort bien obtenir le prestigieux Booker Prize avec Sidérations. C’est ce qu’on saura le 3 novembre prochain et d’ici là, on vous invite à lire ce tout nouveau roman.
Le grand écrivain américain Richard Powers vit non loin du parc national des Great Smoky Mountains, qui chevauche les États du Tennessee et de la Caroline du Nord. Et puisqu’il adore marcher dans les bois, il va régulièrement y faire de longues randonnées. On vous raconte tout ça parce qu’au cours de l’une d’elles, il lui est arrivé quelque chose de plutôt étrange : pendant qu’il suivait un sentier, il a senti une pression, un poids sur tout le haut de son corps. Comme si un petit garçon était juché sur ses épaules !
« Alors du coup, j’ai voulu en savoir plus sur ce petit garçon, explique Richard Powers, qu’on a pu joindre au téléphone vers la fin août. Je l’ai imaginé marchant juste à côté de moi, et j’ai pensé au fils d’une personne de mon entourage. Il est un peu spécial et un jour, il m’a entre autres demandé si j’étais réel. C’est là que j’ai su que je tenais le héros de Sidérations. Je souhaitais écrire depuis un bon moment sur le neurofeedback [une technique expérimentale qui permettrait de traiter les troubles de stress post-traumatique et de déficit de l’attention en stimulant ou en calmant certaines zones du cerveau], mais c’était encore un peu la pagaille. Quand j’ai eu Robin, un héros assez jeune pour regarder le monde et l’apprécier sans voir ce que les adultes voient, tout s’est mis en place. »
Faire face à la différence
À neuf ans, Robin Byrne ne sera donc pas un petit garçon tout à fait comme les autres. D’abord parce qu’il est capable de réciter par cœur des scènes entières de films, qu’il dessine incroyablement bien pour son âge et qu’il connaît des mots pas possibles (comme extrémophile ou myxomycète !), mais aussi parce qu’il est extrêmement sensible aux sons, qu’il a beaucoup de difficulté à dormir et qu’il lui arrive de piquer des crises de rage carrément spectaculaires.
La mère de Robin ayant perdu la vie deux ans plus tôt dans un accident de voiture, Theo Byrne, un astrobiologiste de 45 ans, ne peut donc compter que sur lui-même pour élever ce drôle de fils. Et un beau jour, il y aura la crise de trop, celle qui poussera la direction de l’école à suspendre Robin et à exiger qu’il suive dès que possible un traitement à base de psychotropes. « Aux États-Unis, on a facilement recours au spectre de l’autisme pour expliquer tel ou tel comportement, souligne Richard Powers. On diagnostique ce trouble et ensuite, on s’empresse de traiter les enfants avec des médicaments pour tâcher de les rendre normaux. Pourtant, être différent n’est pas toujours un handicap. Ça peut aussi être une force. »
Mais force ou pas, Theo va devoir faire quelque chose pour son fils. Et comme il n’est absolument pas d’accord avec l’idée de le voir gober toutes sortes de pilules, il se tournera vers Martin Currier, un éminent scientifique spécialiste du neurofeedback qui pourrait peut-être aider Robin à contrôler ses accès de rage.
Un monde à refaire
« Depuis près d’une dizaine d’années, le neurofeedback donne des résultats très intéressants, précise Richard Powers. Surtout auprès des patients qui sont plongés dans le coma. Ce qui se passe dans Sidérations ne correspond donc pas tout à fait à notre présent. Mais la thérapie expérimentale prônée par le Dr Currier pourrait fort bien devenir réalité d’ici cinq ou dix ans. »
« Cela dit, l’émotion qui anime ce roman est la solastalgie, une sorte d’état nostalgique provoqué par les problèmes environnementaux, poursuit Richard Powers. À cause du réchauffement climatique, de la pollution de l’air, de tous les arbres qui meurent ou de la surexploitation des ressources naturelles, les enfants d’aujourd’hui ont le sentiment d’avoir perdu quelque chose qu’ils n’ont jamais connu, et bon nombre d’entre eux en souffrent. »
Avec Sidérations, on n’est donc pas vraiment dans la science-fiction. Mais d’un autre côté, elle fait partie intégrante de l’histoire. Notamment parce que chaque soir, à l’heure du coucher, Theo invente pour son fils une nouvelle planète : Pelagos, qui est entièrement recouverte d’eau, Mios, qui a commencé à être peuplée un milliard d’années avant la Terre, Stase, dont le climat ne change jamais, etc.
« Avant d’écrire ce livre, je ne connaissais rien aux planètes ou à l’espace, dit Richard Powers. Mais c’est ce que j’aime de mon métier. Je peux passer des années à faire des recherches, à m’immerger dans un nouveau sujet. À 64 ans, c’est toujours pour moi une grande source de plaisir. »
![,[object Object],
,[object Object],
Richard Powers
,[object Object],
Éditions Actes Sud
,[object Object],
400 pages](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fm1.quebecormedia.com%2Femp%2Femp%2F65038005_378796425a3605-0048-44a0-ab0b-366c7fb4dfab_ORIGINAL.jpg&w=3840&q=75)