Fiasco SAAQclic: une lanceuse d’alerte a informé les ministres libéraux Laurent Lessard et Pierre Moreau des conflits d’intérêts de Karl Malenfant

Nicolas Lachance
Une lanceuse d’alerte et militante caquiste avait mis en garde dès 2017 des ministres libéraux contre les risques de dérapage du projet SAAQclic et les manigances du patron de l’informatique de la SAAQ, Karl Malenfant.
La reprise des travaux de la commission Gallant a été marquée par un coup de théâtre lundi.
Une lanceuse d’alerte a dénoncé la mauvaise gestion des contrats, les conflits d’intérêts, les manquements éthiques et la loyauté douteuse envers l’État de Karl Malenfant.
L'ex-gestionnaire de la SAAQ Pascale St-Hilaire a fait cette déclaration dans une lettre le 13 mars 2017 au président du Conseil du trésor, Pierre Moreau, ainsi qu’au ministre des Transports de l’époque, Laurent Lessard.
À ce moment-là, la SAAQ s’apprêtait à signer un contrat avec l’Alliance SAP-LGS.

Mme St-Hilaire, alors directrice générale de la planification et de la performance à la SAAQ, alertait les ministres sur «une situation problématique concernant la gestion des contrats en services informatiques».
Elle pointait directement du doigt l’ancien patron de l’informatique. «[Karl] Malenfant m’a demandé d’exécuter certaines actions discutables», écrivait-elle (voir encadré).
En désaccord avec son supérieur, Mme St-Hilaire a été remerciée par la haute direction. Elle est ensuite devenue bénévole pour Jonatan Julien, ministre de la Coalition Avenir Québec, et candidate en 2022 pour le parti de François Legault dans la circonscription de Taschereau.
Vérifications
Laurent Lessard affirme avoir pris au sérieux les allégations et avoir effectué un suivi avec le président du Conseil du trésor et la PDG de la SAAQ Nathalie Tremblay. Il précise qu’il avait demandé à sa PDG de procéder à des vérifications.
Le suivi aurait été réalisé par sa directrice de cabinet, Laura Lizotte. L’UPAC aurait pu se saisir du dossier, a-t-il admis.
Quelques semaines plus tard, en juin 2017, la SAAQ a signé le contrat de 458M$ avec l’Alliance. Un montant qui «était assez gros pour me faire peur», a déclaré Laurent Lessard.
Il s’en remettait toutefois à l’autorisation du Conseil du trésor.
Fortin n’aurait pas été informé
«Personnellement, je n’ai pas eu vent de cette lettre-là», a affirmé lors de son témoignage le député André Fortin, nommé ministre des Transports en octobre 2017.
Le 9 avril 2018, un article de notre Bureau d’enquête révélait cependant que le projet CASA/SAAQclic pourrait déraper. Le ministre Fortin assure avoir effectué des vérifications auprès de la SAAQ.
Son équipe a épluché le tableau de bord et a été rassurée par le vérificateur externe.
À l’époque, la première phase du projet ne connaissait pas d’embûches, plaide-t-il. Un suivi du dossier figurait également dans le rapport de gestion annuel de la SAAQ, ce qui a cessé après l’élection de la CAQ.
Le député de Pontiac a également fait un plaidoyer pour la responsabilité ministérielle dans ce type de dossier. «J’y crois, je crois que c’est utile qu’un élu soit redevable aux Québécois», a-t-il avancé.
Malenfant se défend
Dans une déclaration publiée sur LinkedIn, Karl Malenfant accuse une fois de plus la commission de nuire à sa réputation.
«Soyons clairs: je n’ai rien contre les lanceurs d’alerte – bien au contraire. Mais la prudence est essentielle lorsqu’il est question de ce type de dossier», a-t-il écrit.
Il affirme que Mme St-Hilaire a été écartée parce qu’elle ne répondait pas aux attentes, en raison de «problèmes de gestion».
«Les difficultés de Mme St-Hilaire ne justifiaient pas une telle mise en scène publique. C’est d’une profonde tristesse», a-t-il déclaré.
Le cabinet de Bonnardel «rassuré»
Les dirigeants de la SAAQ ont rapidement rassuré, en novembre 2018, le cabinet du nouveau ministre des Transports, François Bonnardel, quant au projet SAAQclic. Celui-ci était «sur les rails» et les coûts étaient respectés.
En fin de journée lundi, Pierre Tremblay, directeur adjoint du cabinet de François Bonnardel en 2018, a été le premier représentant du gouvernement de la CAQ à livrer sa version des faits. Il était responsable des dossiers de la SAAQ jusqu’à l’été 2019.
Le cabinet a rapidement tenu à faire le point sur le projet à la suite des révélations du Journal. Le Bureau d'enquête avait dévoilé les risques de dérapage du projet quelques mois auparavant. Après un breffage technique, l’équipe du ministre Bonnardel a été «rassurée», a expliqué M. Tremblay.
À l’issue de cette rencontre avec l’équipe de la SAAQ, «il n’y avait rien pour tirer la plogue» sur le projet.
«Il y avait un risque faible pour le ministre», a-t-il signalé, en soulignant le plan de match de l’organisation, la gouvernance du projet et le contrat ferme de 458M$, incluant les investissements et les coûts récurrents.
«On ne cache pas d’information à un ministre», a-t-il assuré au commissaire Denis Gallant. On ne protège pas un ministre, mais on «travaille» parfois le dossier avant d’aller le présenter au ministre.
Le témoignage du ministre François Bonnardel est attendu ce jeudi.
De surprenantes révélations dans la lettre de la lanceuse d’alerte et ex-candidate de la CAQ

«Karl Malenfant a dénigré à plusieurs reprises des autorités telles que le SCT, le CSPQ et ses supérieurs à la SAAQ [...] De plus, il s’est permis, en fin juin, début juillet 2016, de dire, avant la tenue d’un comité de gestion, qu’un “putsch politique” se ferait et se préparait contre le gouvernement en place (on va les tasser ceux-là).»
«En février et mars 2016, il [Karl Malenfant] exige de faire ouvrir les trois (3) soumissions du projet de la refonte de la SAAQ, et ce, avant l’échéance prévue à cette fin.»
«Il [Karl Malenfant] prétend qu’il va devenir le futur président de la SAAQ et il se dit favorisé par les autorités concernées.»
«Malenfant octroie des contrats à la firme R3D, firme où il était vice-président auparavant. Cette firme connaît à l’avance les contrats à venir car elle œuvre auprès de lui pour tous les mandats stratégiques anticipés.»
Voyez les audiences publiques diffusées en direct à LCN ci-dessus.