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L'article provient de TVA Nouvelles
Politique

Fiasco SAAQclic: le ministre Éric Caire avait «l’air d’être dans les vapes» et aurait pu stopper l’hémorragie

Il aurait pu agir dès 2020 en obligeant la SAAQ à respecter les règles du Conseil du trésor

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Photo portrait de Nicolas Lachance

Nicolas Lachance

2025-08-26T12:44:58Z
2025-08-26T20:11:16Z
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L’équipe du ministre Éric Caire aurait pu stopper l’hémorragie de SAAQclic dès 2020 en obligeant la SAAQ à respecter les règles du Conseil du trésor. Elle ne l’a jamais fait, a dénoncé le commissaire Denis Gallant.

• À lire aussi: Fiasco SAAQclic: informé en 2020 des dépassements de coûts et des retards, Éric Caire craignait d’être un «triste spectateur»

• À lire aussi: Commission Gallant: la possibilité de faire témoigner le premier ministre François Legault évaluée

Visiblement nerveux, l’ex-ministre du gouvernement Legault, Éric Caire, a commencé son témoignage tard mardi après-midi devant le commissaire Denis Gallant. 

Malgré une enquête journalistique en 2018, «CASA [SAAQclic] n’était pas sur le radar» des projets à risque lorsqu’il est devenu ministre, a-t-il déclaré. Il a surtout expliqué le fonctionnement de son ministère, mais poursuivra mercredi. 

Les inquiétudes du ministre sont toutefois apparues à l’été 2020, après avoir été informé des dépassements de coûts et des reports du projet.

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C’est ce qu’a mentionné son ancien bras droit, Pierre E. Rodrigue, lors de son témoignage.

Un document indique que M. Caire craignait de devenir un «triste spectateur » et qu’il espérait un «plan de redressement» qui ne s’est jamais matérialisé.

Son ancienne directrice de cabinet, Julie Bérubé, a également témoigné que son ministre était «inquiet».

Cependant, elle n’avait aucun souvenir précis des dossiers. Elle ne s’en mêlait pas, a-t-elle plaidé.

Même lorsqu’elle remplaçait le ministre à des rencontres concernant SAAQclic, elle ne prenait aucune note.

Son seul souvenir de SAAQclic en 2021 : «Le manque de ressources humaines pourrait entraîner des risques pour les budgets et l’échéancier», mais la SAAQ s’était montrée rassurante.

«Vous êtes comme une courroie de transmission, sans plus?», a lancé, exaspéré, le commissaire Gallant. «C’est exact», a confirmé Mme Bérubé.

Un ministre «dans les vapes»

À la suite du déploiement catastrophique de SAAQclic, le ministre Éric Caire a fait savoir à son équipe qu'il souhaitait que le gouvernement retire à la SAAQ son pouvoir de mener sa transformation numérique sans reddition de comptes. La société d’État avait pourtant déjà perdu ce droit en 2017 et le ministre en avait été informé.

Mardi, Pierre E. Rodrigue a réitéré au commissaire que le ministre «savait» depuis longtemps que la SAAQ devait rendre des comptes et qu’elle était en défaut depuis plusieurs années. Lorsque le ministre avait été informé des dépassements de 142 millions $ en 2020, lui et son cabinet ont su que la SAAQ ne respectait pas les règles depuis près de deux ans. Cette réponse a laissé le commissaire «pantois».

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«Il a l’air d’être dans les vapes, le ministre», a lancé Denis Gallant.

Avec cette demande erratique, «on semble paniquer» au cabinet du ministre, a ajouté le procureur Alexandre Thériault-Marois.

Le sous-ministre Rodrigue a confirmé qu'en 2017, un décret a été abrogé afin de forcer les sociétés d’État, notamment la SAAQ, à rendre des comptes au Conseil du trésor pour les projets de plus de 10 millions $, ce qui incluait SAAQclic.

Tombé dans les craques

Le ministère d’Éric Caire souhaitait désormais effectuer un suivi très serré du projet SAAQclic.

Durant de longues minutes, le commissaire Gallant a pris le témoin en grippe, lui rappelant qu’en 2020, des drapeaux rouges avaient été levés et qu’un plan aurait pu être mis en place.

«C’était déjà dans l’air deux ans auparavant», a critiqué le commissaire. Un plan avait été mis en place, mais il «est tombé dans les craques...».

Le ministère savait que la SAAQ «ne respectait pas les règles», a plaidé le commissaire, ajoutant: «Il y a une tempête parfaite. On prend un bateau. Il y a des règles, et on décide de partir en bateau sans ceinture de sécurité.»

Ce qu'a dit le ministre au début de son témoignage :

«Premièrement, CASA [SAAQclic], c’est un projet géré par une société d’État. On est très frileux à l’idée d’une ingérence politique. Surtout quand on n’est pas le ministre du portefeuille», a déclaré l’ex-ministre Éric Caire.

Des textos mystérieux

Par ailleurs, Pierre E. Rodrigue a sorti un chat de son chapeau en début de journée, déposant en preuve des textos envoyés par un lanceur d’alerte anonyme.

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Les correspondances signalaient que certaines personnes souhaitaient lui faire porter le blâme pour les projets informatiques qui ont du plomb dans l’aile.

La source voulait l’avertir que des gens lui voulaient du mal.

«Ils vont détruire ta carrière, a-t-il rapporté. On me disait que je faisais du bon travail, mais qu’“ils” voulaient me faire perdre mon emploi.»

Ces textos ont commencé avant les déboires de SAAQclic.

«Ça correspondait au moment où j’ai essayé de redresser certains contrats. Je voulais donner plus d’air à certaines firmes, a-t-il indiqué. Dans certains cas, je suis peut-être allé un peu fort avec les firmes, car je trouvais qu’on n’en avait pas pour notre argent.»

À la suite du déploiement de SAAQclic, l’ex-bras droit d’Éric Caire aurait reçu un message l’avertissant que des personnes veulent le blâmer pour le fiasco.

«Je ne suis pas dangereux. Est-ce que quelqu’un a peur que je dise quelque chose à la commission?» a signalé Pierre E. Rodrigue, qui n’a jamais mentionné ces textos aux enquêteurs.

Le commissaire a décidé d’ouvrir une enquête. La preuve sera ensuite évaluée.

«Je considère ça tellement sérieux. Je vais demander aux autorités de faire une enquête», a expliqué le commissaire.

Québec était prêt à retarder d’un an

En raison des risques élevés de dérapage, le plus haut fonctionnaire de l’État et homme de confiance du premier ministre au sein de l’appareil gouvernemental était prêt à retarder le déploiement de SAAQclic d’un an afin d’éviter les bogues et les problèmes.

«On ne veut pas de trouble avec ça», aurait déclaré le secrétaire général du Québec, Yves Ouellet. C’est ce qu'a rapporté l’ex-sous-ministre d’Éric Caire devant le commissaire Denis Gallant mardi matin. «C’était la position» du plus haut fonctionnaire de l’État, a mentionné Pierre E. Rodrigue.

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«Notre position était que, si ça prend un an de plus, on le défendra», aurait dit Yves Ouellet.

Le 31 octobre 2022, à quelques semaines du déploiement catastrophique de SAAQclic, les voyants sont au jaune... et même au rouge.

Lors d’une rencontre avec le ministre Éric Caire, il est identifié que les tests finaux sont loin d’être complétés et concluants.

La fermeture des services de la SAAQ a fait l’objet de vifs débats entre la SAAQ, le secrétaire général du Québec et le cabinet du ministre Caire.

«C’était un gros sujet d’inquiétude», a admis l’ex-sous-ministre.

L’objectif a toujours été de fermer les succursales durant le temps des Fêtes, lorsque la demande est la plus faible, et pour un maximum de six jours ouvrables.

«Si mon souvenir est bon, on parlait même que ça pourrait être à Pâques», a indiqué M. Rodrigue.

Indicateurs rouges

Même durant l’été, «tout le monde savait (...) qu’il y avait un risque de ne pas livrer en décembre 2022», a mentionné Pierre E. Rodrigue. Ça a toujours été clair à ce moment-là qu’il restait beaucoup de tests à faire.»

Dans un document qu’il a obtenu en décembre 2022, l’ex-bras droit d’Éric Caire est informé que les tests sont loin d’être concluants.

Seulement 60% des scénarios exécutés pour le lancement de SAAQclic ont été réalisés avec succès. Il restait encore 532 anomalies, «dont 112 sont résolues mais en attente de tests».

À ce moment, la SAAQ confirme que le lancement aura lieu en février 2023.

Contrairement à ce qu’a avancé la ministre Geneviève Guilbault, l’ex-bras droit d’Éric Caire affirme que son ministre n’a pas à donner son aval ni à s’assurer du déploiement.

Pierre E. Rodrigue mentionne que c’est le conseil d’administration qui a conclu la date de déploiement.

Aussi, même s’il savait que le projet allait coûter plus cher, surtout après les exposés de juin 2022, l’ex-sous-ministre assure que jamais la SAAQ ne l’a informé des avenants de 222 M$. Le ministre Éric Caire n’en aurait pas non plus eu connaissance. «Je connais M. Caire, il se serait énervé», a-t-il déclaré.

«Jamais, jamais, jamais», a-t-il dit sous serment. Il plaide que la SAAQ les a «roulés dans la farine.»

Suivez les témoignages de la commission Gallant en direct dans la vidéo ci-dessus.

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