«Elle est où, la tolérance?»: un garçon autiste exclu de son minibus scolaire en raison des sons qu’il fait
Ses parents dénoncent l’injustice envers leurs fils qui a le niveau intellectuel d’un bambin


Dominique Scali
Un garçon autiste de 16 ans est exclu de son minibus scolaire habituel parce que les chauffeurs se plaignent des sons qu’il émet quand il est content alors qu’il a l’âge mental d’un bébé de moins d’un an.
«Ça fait dur. Je suis enragée. Elle est où, la tolérance?», lâche Cynthia Roy, résidente de Saint-Alexis, dans Lanaudière.
Son fils, Jérémy Audet, a 16 ans. Lourdement handicapé et autiste non verbal, il ne peut utiliser la parole pour s’exprimer.
Son âge mental est l’équivalent de celui d’un enfant de 6 mois à 1 an, estime sa mère.
Chaque jour, il passe 3 heures à bord d’un minibus adapté de la compagnie Groupe Gaudreault afin de se rendre dans une école spécialisée à Montréal.
C’est toutefois le centre de services scolaire (CSS) de son coin qui gère le transport de l'enfant, comme c'est généralement le cas quand un élève doit être scolarisé dans une autre région que la sienne.
Les problèmes ont commencé au printemps 2024, quand le chauffeur du minibus s’est plaint des «aaah» qu’il faisait.
Le service des transports du CSS des Samares aurait alors menacé Jérémy d’expulsion, arguant que ces sons «dérangeaient et mettaient la vie des autres enfants en danger», se souvient Mme Roy, une affirmation qu’elle juge exagérée.
«C’est quoi leurs critères, quand ils embauchent des chauffeurs pour les élèves handicapés?», se demande Marc Audet, le père du garçon.
Le Journal publiait d’ailleurs, début mai, un dossier sur le manque de formation ou de savoir-vivre de certains chauffeurs d’autobus scolaire.
Content d’y aller
Jérémy produit ces «vocalises» lorsqu’il est de bonne humeur, explique Mme Roy.
L’ironie, c’est que pendant longtemps, il avait l’habitude de pleurer à l’école, se souvient sa mère.
Mais depuis quelques années, il est heureux de s’y rendre et de voir ses amis, et c’est ce qu’il exprime avant et pendant le trajet (voir texte ci-dessous).

En avril dernier, la nouvelle chauffeuse de minibus s’est elle aussi plainte de ces sons.
Le CSS a d’abord suggéré à Mme Roy de fournir une tablette à Jérémy pour qu’il puisse regarder un film pendant le transport.
«Ça n’a rien changé». Comme il était content du visionnement, il continuait d’émettre des «aaah».
Rotation
Depuis le 7 mai, Jérémy est exclu de son minibus habituel. Chaque matin, un chauffeur différent vient le chercher avec une berline dans laquelle il est seul, une rotation temporaire mise en place jusqu’à la fin juin.
Pour l’an prochain, le CSS des Samares évalue l’option de l’inscrire dans une école plus près de chez lui, ce que ses parents ont l’intention de refuser pour ne pas le déraciner.
De son côté, le CSS des Samares indique qu’il n’y a eu aucun bris de service pour Jérémy. «Nous ferons le nécessaire pour qu’il soit transporté tout au long de son parcours scolaire», assure Hélène Duchaine par courriel.
Elle indique aussi que le personnel affecté au transport adapté a reçu une formation spécifique à la réalité des élèves à besoins particuliers.
Au moment de publier, le Groupe Gaudreault n’avait pas répondu à nos questions.
«Pour ses professeurs, les vocalises, c’est positif»
Les intervenants scolaires de Jérémy ont mis beaucoup d’effort avec les années pour décoder ses vocalises, qui ne doivent surtout pas être interprétées comme du «criage», rappellent ses parents.
«Les professeurs, ils ont une sorte de lexique sur Jérémy», explique M. Audet. «Ils savent que quand il fait tel son, ça veut dire telle chose.»
Les chauffeurs de minibus qui se sont plaints perçoivent ces «aaah» comme du «criage», déplore Mme Roy.
«Mais pour ses professeurs, les vocalises, c’est positif», rapporte-t-elle.
Micro-observations
«On est heureux quand les jeunes communiquent», souligne Christian Milliard, directeur général de l’école Joseph-Charbonneau à Montréal.
Sans aborder le dossier particulier de Jérémy, M. Milliard confirme que les vocalisations des jeunes autistes non verbaux peuvent tout à fait signifier qu’ils sont heureux.
«Des fois, ça veut dire que l’élève est en confiance.»
Pour arriver à les comprendre, les intervenants font une «analyse fonctionnelle». À force de «micro-observations», ils arrivent à décoder à quel moment survient tel comportement ou tel son, explique Yannick Gauthier, directeur adjoint de l’école.
«Il faut qu’on creuse beaucoup», explique M. Gauthier. «C’est un processus qui prend du temps.»
Si Jérémy devait changer d’école, c’est tout ce travail d’analyse qui serait donc à recommencer à zéro, craignent ses parents.
École-hôpital
Pour eux, Jérémy doit rester à Joseph-Charbonneau, qu’il pourra fréquenter jusqu’à l’âge de 21 ans.
Le garçon y a trouvé sa routine. Les services y sont non seulement hyper spécialisés, mais stimulants, insistent-ils.
En raison de sa déficience intellectuelle profonde, Jérémy fait partie d’un groupe de 5 à 6 jeunes maximum.
L’école Joseph-Charbonneau est d’ailleurs bien plus qu’un établissement scolaire. C’est pratiquement un hôpital, que fréquentent des élèves de 16 CSS différents.
Les parents de Jérémy souhaitent ainsi qu’une solution permanente soit trouvée et que leur témoignage contribue à sensibiliser les chauffeurs à la réalité des jeunes comme Jérémy.