«Elle est donc bien soumise sa Janette»!


Guy Fournier
Janette Bertrand a 100 ans aujourd’hui. Un seul Québécois l’ignorerait-il?
J’en doute, car personne n’aura été célébré comme elle. Ni Louis-Joseph Papineau, ni Wilfrid Laurier, ni Jeanne Mance, ni Maurice Richard, ni même René Lévesque!
Pleines pages dans tous les quotidiens du Québec, émissions spéciales, documentaires et entrevues sur toutes nos chaînes de télévision et de radio, médailles, prix et doctorats, murale à l’angle d’Ontario et Montgomery à Montréal, pièce de théâtre, biographies, chevalière, officière et femme du siècle! Ne manquent plus qu’une pièce de la Monnaie royale, un parc avec fontaine, un boulevard, une station de métro, des assiettes à son effigie en porcelaine de Limoges, la proclamation du 25 mars comme fête nationale et changer le nom du lac Sawin pour lac Janette à Saint-Zénon!
À chaque nouvel hommage, Janette dit que c’est trop, mais elle arbore toujours un bref sourire ravi. Un tsunami d’hommages, en effet! Mais faudrait-il oublier que Janette a vengé les frustrations et les humiliations de générations de Québécoises muselées par le clergé et par les communautés religieuses, par les lois, par les mœurs, par pères et mères, et, pire encore, par des maris qui les invisibilisaient ?
La Janette invisible
J’ai connu la Janette invisible. Elle écrivait Toi et moi que signait Jean Lajeunesse. Elle avait de la compagnie: Mia Riddez écrivait Rue des pignons que signait aussi son conjoint, Louis Morisset !
Janette incarnait la modeste «toi» de Toi et moi, des sketchs que diffusait le canal 2 depuis 1954. Jean Lajeunesse incarnait le «moi». Mais le MOI en majuscules. Il n’y avait rien de minuscule chez Jean, mon partenaire de piquetage et de bridge durant la grève des réalisateurs de Radio-Canada. Six pieds, le verbe haut comme si la nature l’avait doté d’un porte-voix intégré, le geste brusque, le ton bourru, les arguments péremptoires, cet homme inspirait respect et crainte.
Solide comme le roc de Gibraltar, Jean Lajeunesse! Acteur un brin unidimensionnel, mais bon acteur tout de même, soucieux de sa famille, confiant que son diplôme de comptable lui permettrait d’assurer l’avenir de ses trois enfants, sûr comme Prométhée de ses arguments et de sa sagesse.
Des millions de mots
Jusqu’à la fin de la grève, le 7 mars 1959, nous avons toujours, Jean et moi, terminé notre piquetage par d’interminables séances de bridge. Jean en sortait presque toujours vainqueur. Pas facile de gagner avec lui. Je l’ai bien vu lorsqu’à l’époque. Je l’invitai à dîner chez nous avec sa Janette. À leur départ, Aimée Danis avec qui je venais d’emménager, me dit: «Elle est donc bien soumise, sa Janette ! C’est à peine si elle a pu placer un mot!»
Après son divorce en 1981, Janette a placé des millions de mots qui ont changé les couples du Québec!