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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Fusillades à Montréal: électrochoc aux criminels armés

Pour freiner ce type de violence à Montréal, les policiers doivent pressurer les suspects, croient des experts

Trois hommes ont été atteints par balle alors qu’ils circulaient en voiture au centre-ville de Montréal, le 20 septembre dernier. Adam Jean-Philippe, âgé de 21 ans, a succombé à ses blessures.
Trois hommes ont été atteints par balle alors qu’ils circulaient en voiture au centre-ville de Montréal, le 20 septembre dernier. Adam Jean-Philippe, âgé de 21 ans, a succombé à ses blessures. Photo d'archives, Agence QMI
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Photo portrait de Valérie Gonthier

Valérie Gonthier

2022-10-08T04:00:00Z
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Pour stopper l’hémorragie de la violence armée, Montréal doit donner un véritable électrochoc aux criminels, comme l’ont fait des villes américaines aux prises avec la même problématique, croient des experts.

• À lire aussi: Des stratégies d’ailleurs pour stopper la violence armée à Montréal

« À court terme, on fait quoi ? On a déjà des escouades, mais il va falloir une stratégie. Il existe différents modèles en criminologie qui fonctionnent, qui ont permis à de grandes villes américaines de diminuer la violence armée », lance d’emblée la criminologue Maria Mourani.

En réponse à de récentes fusillades survenues en plein jour et dans des lieux publics, Québec a débloqué 250 M$ pour engager 450 policiers d’ici cinq ans. Le Service de police de la Ville de Montréal a de plus présenté une nouvelle escouade, ARRET, qui vise à perturber les activités des groupes criminels violents. 

Mais les policiers devront montrer les dents pour que l’on constate un réel changement, estime Mme Mourani.

Pression policière

« Quand les policiers vont débarquer dans les bars, prendre les criminels en photo, les suivre, ça va avoir un impact. Si la pression policière n’est pas étouffante au point qu’ils ne sont plus capables de faire leur business, ça va continuer », explique-t-elle. 

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« À court terme, ce dont les criminels ont besoin, c’est d’un électrochoc. Il faut cibler les endroits et individus problématiques. Ça aurait dû être ça déjà, mais on réagit encore après coup », déplore le policier à la retraite André Gélinas. 

Photo d'archives, Agence QMI
Photo d'archives, Agence QMI

D’ailleurs, pour que les actions répressives soient efficaces, elles doivent être « extrêmement bien ciblées auprès d’auteurs de violence connus », insiste René-André Brisebois, intervenant et chercheur à l’Institut universitaire Jeunes en difficulté du CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

« Dans les grandes opérations policières qui ont été des flops aux États-Unis, on voyait les policiers débarquer dans un quartier et arrêter tous ceux qui avaient l’air criminalisés. C’est absolument à proscrire », a-t-il insisté.

Et pour que cette technique fonctionne, il faut que les policiers se sentent appuyés, renchérit André Gélinas. 

« C’est certain que ça va déranger du monde, c’est inévitable. Tu ne peux pas administrer un électrochoc et que ça se fasse en douceur. Alors, on ne peut pas réclamer une enquête chaque fois que ça brasse », avertit-il.

Plus de transparence

Le criminologue Maurice Cusson est aussi d’avis que des opérations « coup de poing », comme les policiers ont commencé à en faire dans les dernières semaines, sont nécessaires. 

« Un des problèmes avec la police ici, c’est que c’en est une de secret de défense. L’information ne circule pas, on est incapable de chiffrer ce qui se passe à Montréal », dit-il. 

Ce dernier est d’avis qu’il serait « honnête » qu’un registre des événements par arme à feu soit mis en place dans la métropole, comme c’est le cas dans de grandes villes américaines et à Toronto. 

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La science pour trouver des solutions 

La science pourrait bien aider les autorités à trouver une solution efficace pour freiner les événements par coups de feu qui secouent la métropole. 

« La science est utile pour aborder les grands défis de la société, soit les changements climatiques ou le vieillissement de la population. La violence urbaine aussi est un gros défi de société. Alors il est urgent d’utiliser la science pour en savoir plus sur ce phénomène et trouver des solutions pour résorber le problème », a expliqué Louise Poissant, directrice scientifique au Fonds de recherche du Québec – Société et culture. 

Grâce à des recherches scientifiques, il serait ainsi possible d’en apprendre davantage sur les tensions qui poussent des individus à se tirer dessus en public.

Documenter

« Quelle est la particularité de cette violence urbaine dans la région métropolitaine ? Qui sont les gangs ? Depuis combien de temps sont-ils là ? Quelle est l’ampleur de leur réseau ? Quelles sont les écoles dans lesquelles ils ont le plus d’influence ? Est-ce qu’ils terrorisent des gens ? Tout ça est à documenter », a précisé celle qui travaille avec le Scientifique en chef du Québec. 

Ces informations dicteront ensuite les actions à prendre pour stopper l’hémorragie.

« On va détecter les meilleures informations qui vont guider le mieux possible le gouvernement ou même les écoles, pour qu’ils prennent les meilleures décisions et sachent où mettre leur argent », a ajouté Mme Poissant. 

En mai dernier, Québec avait annoncé un investissement de 1 M$ pour une nouvelle chaire de recherche pour la prévention de la violence armée. 

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Depuis, deux appels de propositions pour des projets de recherche sur la question ont été lancés aux Fonds de recherche du Québec. L’un d’eux concerne un Living lab, qui mise sur la recherche sur le terrain, avec la population. 

« Les scientifiques ne font pas de la recherche que pour écrire des articles », a lancé Mme Poissant, précisant qu’en quelques mois de recherches, des premiers résultats pourraient être dévoilés, afin que des actions concrètes soient prises.  

Dissuadés par les arrestations des membres du gang 

Le simple fait de voir des membres de son réseau se faire arrêter ou être la cible de balles peut inciter un délinquant à se tenir tranquille, selon un chercheur en travail social et en criminologie.

Dans le cadre d’une étude, le professeur à l’Université Laval Yanick Charette a suivi sur une période de sept ans le parcours d’individus, à partir de données policières.  

Ses recherches lui ont permis d’observer que le nombre d’arresta-tions et le fait qu’un délinquant soit témoin que des membres de son réseau soient victimes de la violence par arme à feu peut le détourner du milieu criminel. 

10 % de moins

« Le fait d’avoir été co-arrêté avec une personne victimisée par arme à feu diminue de 10 % la probabilité de poursuivre une trajectoire de délinquance », conclut M. Charette. 

Les résultats de cette étude, dont Le Journal a pu prendre connaissance, seront bientôt présentés dans une capsule d’information sur le site web du Scientifique en chef du gouvernement du Québec. 

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Considérant la montée de la violence armée dans les dernières années, le chercheur y voit « d’intéressantes perspectives », permettant la mise en place de projets d’intervention ayant comme objectif de dissuader des individus à risque de commettre des actes violents. 

Il privilégie ainsi davantage des stratégies d’intervention sociales de « dissuasion ciblée », plutôt que d’augmenter « à l’infini » le nombre de policiers. 

Tensions sociales 

Prioriser la répression a « très peu d’effet sur la criminalité en général » et va davantage « engendrer des tensions sociales contreproductives », a écrit le chercheur.

Selon lui, une bonne stratégie de dissuasion consiste en des programmes de réinsertion au travail ou de formation professionnelle, par exemple. 

Cela peut également passer par des proches de victimes qui viennent exposer les réelles conséquences de la violence armée sur leur vie, a noté M. Charette. 

Ces stratégies d’intervention pourraient s’avérer d’une « grande utilité » à Montréal et ailleurs au pays, considérant la montée de la violence armée, a-t-il ajouté. 

Traiter la violence par arme à feu comme un virus contagieux 

René-André Brisebois, coordonnateur professionnel au Centre d’expertise de l’Institut universitaire Jeunes en difficulté, est d’avis qu’il faut considérer la violence armée à Montréal comme un problème de santé publique.
René-André Brisebois, coordonnateur professionnel au Centre d’expertise de l’Institut universitaire Jeunes en difficulté, est d’avis qu’il faut considérer la violence armée à Montréal comme un problème de santé publique. Photo Martin Alarie

Montréal devrait s’inspirer de grandes villes américaines et européennes qui tentent de diminuer les coups de feu en s’attaquant au problème comme un enjeu de santé publique.

« On peut diminuer la violence avec l’incarcération. Mais on se rend compte que c’est un problème qui persiste, parce qu’on ne s’attaque pas aux racines du problème. On doit concevoir la violence comme une maladie qui est transmissible, qui est contagieuse », lance René-André Brisebois, de l’Institut universitaire Jeunes en difficulté.

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Tout comme la COVID, où une personne contagieuse peut contaminer un contact direct, un jeune qui côtoie un individu participant à la violence armée va être davantage porté à commettre des gestes semblables, précise-t-il.

« Le simple fait d’avoir entendu des coups de feu, d’avoir été victime, d’avoir vu quelqu’un être victime de coups de feu, ça peut être des éléments suffisants pour amener une personne à se procurer une arme et vouloir se protéger », explique M. Brisebois.

Donc, si on veut prévenir la propagation de la violence armée, il faut cibler les individus qui risquent le plus de commettre cette violence-là, leur offrir les services et soins dont ils ont besoin.

Cela évite « que cette violence devienne de plus en plus contagieuse et qu’elle se répande plus dans la communauté », dit-il.

Aide d’anciens gangsters 

« On pense que la seule réponse viable, c’est d’avoir plus de policiers, pour faire plus d’arrestations, pour mener à plus d’incarcération. Mais il faut connaître les causes du problème », note-t-il.

Ces individus, souvent des jeunes, refusent la plupart du temps de collaborer et de s’ouvrir aux policiers et aux différents intervenants communautaires. 

Utiliser l’aide d’anciens criminels qui ont connu ce milieu pour les influencer est une initiative présentement préconisée par le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Ces gangsters repentis participent à un programme de pairs-aidants. Ils rencontrent des jeunes contrevenants, échangent, expliquent que la violence n’est pas la solution à tout. Des discussions qui peuvent éviter des ripostes et possiblement des drames, relate M. Brisebois.

« Très récemment, ils ont réussi à connecter avec des jeunes et ont eu des témoignages de personnes qui étaient alors en mode vengeance. Des jeunes qui disaient qu’ils allaient faire un payback », explique-t-il.

Alternatives

Mais les intervenants, qui ont eux-mêmes déjà été des acteurs de violence et vivent encore avec les conséquences de leur passé, ont réussi à désamorcer l’esprit vengeur des jeunes.

Le projet, inspiré notamment du Cure violence aux États-Unis (voir encadré p. 38), cible des jeunes déjà impliqués dans des réseaux délinquants qui risquent plus d’utiliser des armes. 

La répression est aussi importante pour neutraliser les criminels. Et elle sert à dissuader d’autres jeunes à commettre des actes violents.

« Mais le volet préventif vient proposer des alternatives positives à ces jeunes-là [...] », conclut René-André Brisebois.

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