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L'article provient de TVA Nouvelles
Justice et faits divers

Effondrement mortel chez Domtar en 2021: la compagnie d’échafaudage blâmée sévèrement par une juge

ANDY ST-ANDRÉ/TVA NOUVELLES/AGENCE QMI
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Guillaume Cotnoir-Lacroix

2025-04-09T10:30:00Z
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La multinationale AlumaSafway «n’a pas respecté les règles de sécurité» et «n’a pas agi avec diligence» au moment de concevoir et d’installer un échafaudage de 16 niveaux à l’usine Domtar, en octobre 2021, tranche la juge Tanya Larocque. Conséquence directe : deux travailleurs sont morts et un autre a été gravement blessé lorsqu’une partie de la structure s’est effondrée sous leur poids. 

La décision de la juge Larocque a été rendue au terme d’un procès, alors qu’AlumaSafway avait contesté un constat d’infraction assorti d’une amende que lui avait émis la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST).

L’organisme reprochait à AlumaSafway d’avoir compromis directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l’intégrité physique ou psychique des travailleurs sur place. La juge Larocque a tranché en faveur de la CNESST et l’entreprise devra payer une amende de 55 973 $ à l’organisme. La décision sur la peine a été rendue en novembre 2024, tandis que le procès s’était tenu au palais de justice de Sherbrooke quelques semaines plus tôt.

Les événements tragiques sont survenus lors de travaux d’entretien à l’usine. Sept travailleurs se trouvaient à l’intérieur d’un lessiveur servant à mélanger les copeaux de bois et produits chimiques. Cet équipement en forme de silo mesurait 39 mètres de haut.

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Un échafaudage à rosettes de la hauteur d’un immeuble de dix étages y avait été aménagé. La partie inférieure s’est malheureusement affaissée, entraînant dans la mort Hugo Paré, un soudeur de 22 ans et Yan Baillargeon, un mécanicien de 39 ans. L’accident avait fait cinq autres blessés.

«[La CNESST] démontre, hors de tout doute raisonnable, que des travailleurs [ont été] exposés à une situation de danger réel et immédiat de blessures graves, en raison de situations inadéquates dont [AlumaSafway] a le contrôle», analyse la juge Larocque dans sa décision.

Une «comédie d’erreurs» et une peine «ridicule» selon l’avocat Marc Bellemare

L’avocat spécialiste en droit des victimes, Marc Bellemare, a accepté de prendre connaissance de la décision de la juge pour TVA Nouvelles. «C’est un blâme très sévère», constate-t-il d’entrée de jeu.

«C’est une comédie d’erreurs à laquelle a participé cette entreprise-là [...] Ce n’est pas parce que la CNESST a décidé de poursuivre en Cour du Québec cet employeur-là qu’il n’y en a pas d’autres qui sont responsables aussi», estime l’avocat d’expérience.

«C’est bien évident que c’est un échec lamentable du côté de l’employeur AlumaSafway et un succès, il faut le reconnaître, pour la CNESST, qui a fait le maximum pour obtenir un beau résultat», lance-t-il.

Questionné sur l’amende d’un peu plus de 55 000 $ imposée à AlumaSafway, l’avocat Bellemare la qualifie de «complètement ridicule». Il confirme toutefois que l’amende se situe tout près du maximum que pouvait imposer la CNESST selon la loi qui était en vigueur au moment de l’accident, soit environ 60 000 $.

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«On devrait peut-être même décupler cette peine-là. On parle de vies qui ont été fauchées, on parle de négligence grossière à tous les niveaux» plaide Me Marc Bellemare.

Me Bellemare espère que le ministre du Travail au Québec, Jean Boulet, prendra connaissance des faits reprochés à l’entreprise dans la décision de la juge, et de l’amende imposée.

«J’imagine qu’il va comprendre que ça n’a pas de bon sens des peines aussi faibles que ça, des amendes aussi faibles que ça. Il faut modifier la loi», lance-t-il avec conviction. Il note que la CNESST multiplie actuellement les publicités sur la santé et la sécurité au travail.

«Au bout de la ligne, on s’aperçoit que quand l’événement survient, les peines sont tellement ridicules qu’on se dit : qu’est-ce que ça vaut une vie humaine au Québec ?», ajoute l’avocat.

Une multitude d’erreurs

La juge Tanya Larocque reproche huit erreurs à AlumaSafway pour trancher en faveur de la CNESST.

L’entreprise a utilisé des composantes d’au moins six fabricants pour installer l’échafaudage «sans en assurer la compatibilité». La juge note par exemple que l’ingénieur embauché par l’entreprise et ayant conçu les plans d’échafaudage a utilisé la capacité de charge d’une barre diagonale de marque Sure Lock pour l’ensemble de ses calculs, alors que d’autres barres diagonales utilisées et de marques différentes avaient une capacité de charge bien en deçà de celles de marque Sure Lock [-45,1 % dans un cas en particulier].

Le témoignage d’un travailleur blessé et d’un expert a aussi permis de déterminer que des composantes défectueuses se trouvaient sur l’échafaudage. Elle donne l’exemple d’une pièce soudée qui, à l’origine, devait être une pièce formée en un seul bloc.

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«L’utilisation de composantes défectueuses est contraire au simple bon sens», tonne la juge dans sa décision.

La partie inférieure de l’échafaudage était demeurée intacte après l’effondrement de la partie supérieure, ce qui a permis à un expert de confirmer «plusieurs incohérences entre le plan de l’ingénieur et le montage effectué par Aluma Safway». Encore une fois, la juge n’y va pas de main morte.

«Les règles de l’art et le simple bon sens imposent que le montage de l’échafaudage doive suivre rigoureusement le plan de conception certifié par l’ingénieur», analyse-t-elle. Des modifications ont aussi été apportées au montage de l’échafaudage sans communiquer au préalable avec le concepteur du plan, peut-on lire.

La décision de la juge se résume en quelques lignes.

«L’échafaudage aurait pu s’effondrer à tout moment considérant que le plan de conception n’est pas suivi et modifié sans approbation alors que l’échafaudage est monté en utilisant des composantes de divers fabricants, des composantes manquantes ou des composantes désuètes, le tout en l’absence d’étiquetage avisant de l’état de l’échafaudage», écrit la juge Larocque.

La juge rejette la défense de «diligence raisonnable»

La magistrate a rejeté la défense de diligence raisonnable présentée par AlumaSafway, voulant qu’elle ait «pris toutes les mesures raisonnables pour éviter la commission de l’infraction».

«Pour invoquer la défense de diligence raisonnable, il ne suffit pas à un employeur de donner des directives à ses employés, il doit s’assurer qu’elles sont suivies [...] Une preuve de directives générales est insuffisante, faute de vérifications ponctuelles et fréquentes», estime la juge.

«La défenderesse, n’ayant pas respecté les règles de sécurité claires et bien établies dans les normes, peut difficilement invoquer qu’elle agit avec diligence raisonnable dans la gestion de la santé et de la sécurité de ses travailleurs présents le 26 octobre 2021 lors de l’effondrement de son échafaud», ajoute la juriste.

La CNESST a décliné notre demande d’entrevue. Les avocats d’AlumaSafway n’y ont pas encore répondu.

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