Effet «spotlight»: personne ne vous scrute autant que vous le pensez


Dre Christine Grou, psychologue
Vous avez buté sur un mot en entrevue d’embauche. Le col de votre chemise n’était pas parfaitement ajusté. Vous avez écorché le prénom d’une personne que vous rencontriez pour la première fois. Si vous êtes convaincu que chacun de ces faux pas a été remarqué dans les moindres détails et restera gravé dans la mémoire de tous, vous venez peut-être de vivre l’effet spotlight.
Aussi appelé l’effet du projecteur, ce phénomène traduit notre tendance à surestimer à quel point les autres remarquent – et jugent – nos faits et gestes. Notre cerveau, qui va souvent au plus court, peut en effet nous donner l’impression que tous les regards sont braqués sur nous, alors qu’en vérité, les autres y prêtent généralement bien peu d’attention. En d’autres termes, en présence d’autrui, nous allumons parfois un projecteur, le pointons sur nous-mêmes... et nous réglons son intensité au maximum. Les psychologues américains Thomas Gilovich, Kenneth Savitsky et Victoria Husted Medvec ont d’ailleurs été les premiers à mettre en évidence ce biais cognitif.
L’obsession de la tache sur la chemise
En nous plaçant au centre du monde – même à petite échelle –, nous prêtons souvent une importance démesurée à nos «imperfections». On pourrait croire que ce travers appartient aux personnes persuadées d’être le centre de l’univers, pour les bonnes ou les mauvaises raisons. En réalité, on l’observe surtout chez celles qui doutent d’elles-mêmes, manquent de confiance ou possèdent une estime fragile. Plus l’ego est vulnérable, plus le regard d’autrui prend de l’importance.
Prendre la parole en public, diriger une réunion, donner une conférence: autant de situations qui génèrent déjà du stress. Ajoutez-y une tache sur un chemisier ou une maille dans un bas, et voilà que dans notre esprit, tout bascule en catastrophe en raison de ce projecteur braqué sur nous. Car oui, il nous arrive à tous de commettre un lapsus gênant en pleine présentation – je parle d’expérience! L’auditoire a ri, et moi aussi. Mais dans les faits, ce que les spectateurs retiennent d’une présentation, avec ou sans maille dans un bas, c’est le contenu. Rappelons-le: les esprits que l’on admire ne sont pas ceux qui passent des heures à traquer la moindre imperfection.
Retourner ce projecteur vers l’extérieur
Cela dit, l’effet spotlight n’est pas une fatalité, car il fait partie de nos propres enjeux. Il est donc possible d’en réduire l’impact. La première étape consiste à prendre pleinement conscience de ce phénomène. Garder à l’esprit que vous exagérez souvent ce que les autres remarquent est un exercice de métacognition: réfléchir et observer vos propres pensées permet de vous les réapproprier, et donc de diminuer l’anxiété et de relativiser vos faux pas.
Il est aussi utile de se rappeler que la plupart des gens vivent ce même biais: ils se croient, eux aussi, sous un projecteur en situation semblable. Pendant que vous craignez que l’on remarque votre maladresse, ceux-ci pourraient bien être occupés à se concentrer sur la leur!
Le pouvoir de l’empathie
Au-delà de cette prise de conscience, un outil puissant reste à portée de main: l’empathie, envers soi-même comme envers les autres. En dirigeant son attention vers autrui – en écoutant vraiment, en s’intéressant à ce qu’ils vivent, en interagissant avec autrui de façon constructive –, on déplace naturellement ce fameux projecteur. L’attention cesse alors d’être centrée sur nos erreurs ou nos défauts supposés et s’élargit vers le monde qui nous entoure.
Enfin, si vous remarquez une imperfection chez un collègue ou un conférencier, posez-vous la question: si c’était moi, comment voudrais-je être traité? Il y a fort à parier que cela serait avec bienveillance.
Être... humain
Avis aux perfectionnistes: le monde est imparfait... et il le restera. Alors inutile de s’étonner ou encore de s’autoflageller si, parfois, vous retombez dans l’effet spotlight. Personne n’est à l’abri d’une tache de sauce tomate sur un vêtement, d’un mot qui dérape ou d’une mèche rebelle. Mais ces détails ne définissent pas qui vous êtes et n’enlèvent rien à votre valeur. Ce qui vous dérange sera au mieux peu remarqué et, au pire, sans grande importance. Si une situation donnée vous agace, osez la nommer, voire en rire. Vous chasserez alors votre «propre éléphant» de la pièce, et serez surpris de constater que, loin de vous juger, les autres pourraient bien se reconnaître en vous.
Et surtout, souvenez-vous que même la personne la plus centrée sur elle-même n’est pas – et ne sera jamais – le nombril du monde au centre d’une attention démesurée.