Écoles du Québec: la laïcité a coûté des profs


Geneviève Lajoie
La laïcité a un prix: le réseau de l’Éducation québécois s’est privé d’au moins 25 enseignants, pratiquement toutes des femmes, depuis l’adoption de la loi interdisant de porter des signes religieux. Et ce n’est probablement que la pointe de l’iceberg.
Vraisemblablement sous-estimé, l’impact de la Loi sur la laïcité de l’État dans les écoles du Québec ne surprend pas la Fédération autonome de l’enseignement, qui conteste la loi 21 devant les tribunaux.
«Probablement que plein de gens n’ont même pas tenté [de se faire embaucher] sachant [qu’]ils ne seraient pas retenus, soutient la présidente, Mélanie Hubert. On parle de 25, mais on s’entend que c’est probablement la pointe de l’iceberg comparé à ce qui s’est passé et on se prive de relève à plus long terme.»
Seulement au Centre de services scolaire de Montréal, au moins cinq aspirantes profs n’ont pu être embauchées en raison de la Loi sur la laïcité de l’État et pas moins de huit enseignantes ont choisi de démissionner après l’adoption de la loi 21, révèle une demande d’accès à l’information. Ce sont toutes des femmes.
Il s’agit toutefois d’un portrait bien parcellaire, puisque la direction a décidé de cesser de compiler les données quelques mois après l’entrée en vigueur de la législation qui proscrit le voile, la kippa, le turban et les croix chrétiennes chez les profs durant les heures de boulot. «Depuis ce temps, aucune statistique n’est disponible», précise l’organisme, qui refuse de nous fournir la raison de cette décision.
Et il n’y a pas que les écoles montréalaises qui ont dû se passer des services d’enseignants, alors que la pénurie de main-d’œuvre est criante en éducation.
À l’autre bout de l’autoroute 20, le CSS des Découvreurs de Québec a dû faire une croix sur cinq candidats enseignants à cause de la Loi sur la laïcité depuis 2019.
Plusieurs établissements de la Montérégie et des Laurentides ont vécu des situations semblables. C’est le cas des CSS de la Vallée-des-Tisserands, de la Rivière-du-Nord, des Grandes-Seigneuries et des Mille-Îles. Là encore, ceux qui détenaient l’information nous ont précisé qu’il s’agissait de femmes.
Mutations ou promotions refusées
Même chose au CSS Portages-de-l’Outaouais, où deux «candidats membres du personnel enseignant» n’ont pu être embauchés «en regard de la loi 21 et de son interdiction du port de signes religieux».
Plus encore, six profs d’expérience bénéficiant d’une clause grand-père leur permettant de continuer d’arborer leur foi ont refusé des mutations ou des promotions après l’entrée en vigueur de la Loi sur la laïcité de l’État.
En effet, cette législation accorde un droit acquis aux employés qui étaient déjà en poste avant le mois de juin 2019. Mais ce privilège disparaît si on change de fonction ou d’organisation.
Notons que seulement la moitié des CSS ont répondu à notre demande d’accès à l’information et qu’une grande partie des organisations ont affirmé ne pas détenir de «documents» pouvant fournir ces informations pour expliquer l’absence de réponse.
Dans sa contestation judiciaire, la FAE défend le droit au travail de tous. «Notre prétention c’était que c’était discriminatoire à l’égard de certains groupes en particulier. Nous, on avait la prétention que ça allait toucher principalement des femmes, musulmanes pour ne pas les nommer, et que ça remettait en question même des principes d’égalité entre les genres dans notre société et ça, pour nous, ce n’était pas quelque chose qui était acceptable», insiste Mélanie Hubert.
Elle croit que bon nombre de personnes intéressées par l’enseignement se sont probablement tournées vers d’autres secteurs, ce qui n’est pas souhaitable dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre.
Il manque actuellement près de 1000 enseignants dans les écoles québécoises, selon les dernières données dévoilées par Le Journal.
La situation est telle que des directions d’école, des éducateurs en service de garde et même des parents doivent être appelés en renfort dans les classes pour remplacer des profs qui s’absentent temporairement ou de façon prolongée, a illustré récemment Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE).
CSS de Montréal
- Seulement pour l’année scolaire 2019-2020
- 5 candidates enseignantes n’ont pu être embauchées en raison de la loi 21
- 8 enseignantes ont quitté le CSS en raison de la loi 21
CSS des Découvreurs
- 5 candidats enseignants n’ont pu être embauchés en raison de la loi 21
CSS des Portages-de-l’Outaouais
- 2 candidats enseignants n’ont pu être embauchés en raison de la loi 21
- 6 membres du personnel enseignant bénéficiant d’une clause grand-père en regard de la loi 21 et son interdiction de signes religieux ont refusé des mutations dans un autre CSS ou des promotions en raison de la loi 21
CSS de la Vallée-des-Tisserands
- Un candidat enseignant n’a pu être embauché en raison de la loi 21
CSS des Mille-Îles
- Une enseignante a quitté son poste en raison de la loi 21
CSS de la Rivière-du-Nord
- Une candidate enseignante n’a pu être embauchée en raison de la loi 21
CSS des Grandes-Seigneuries
- 2 suppléantes occasionnelles n’ont pu être embauchées en raison de la loi 21
* Données provenant de demandes d’accès à l’information. Notons que seulement la moitié des centres de services scolaires ont répondu à notre demande d’accès à l’information et qu’une grande partie des organisations ont affirmé ne pas détenir de «documents» pouvant fournir ces informations pour expliquer l’absence de réponse.
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