Du pain et des roses: il y a 30 ans, un grand pas pour les femmes


Anne-Sophie Poiré
Il y a 30 ans, des centaines de femmes ont marché pendant 10 jours pour dénoncer la pauvreté qui les frappait de manière disproportionnée. Ces 200 kilomètres parcourus jusqu’à Québec ont peut-être usé leurs souliers, mais ils ont surtout permis des gains importants pour la cause féministe, dont l'augmentation du salaire minimum et l'équité salariale. Retour sur ce mouvement historique.
Le 26 mai 1995, plus de 850 femmes sont rassemblées à Montréal, à Longueuil et à Rivière-du-Loup pour le départ de la marche Du pain et des roses, «sous un soleil radieux», se plaisent à évoquer les participantes.

L’évènement emprunte son slogan à celui de la grève du textile de Lawrence, au Massachusetts, en 1912. Les 20 000 grévistes, surtout composés de femmes et d’immigrés, s’opposaient alors à la diminution des salaires dans l’industrie. Ils ont finalement gagné leur cause.
Ce que réclament les marcheuses québécoises: obtenir réponse aux neuf revendications qu’elles ont formulées au gouvernement du premier ministre péquiste Jacques Parizeau, qui les attendait à l’Assemblée nationale.
Ces demandes convergeaient vers un but commun: réduire la pauvreté.
«En 1995, le Québec était en récession. Le taux de chômage touchait les 13% et la pauvreté atteignait particulièrement les femmes», raconte la co-instigatrice de la marche, Françoise David, alors présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ).

À l’époque, 20% des ménages vivent sous le seuil de pauvreté. Et la situation économique des femmes seules et monoparentales s’est particulièrement détériorée.
«On a décidé d’organiser une action très visible. On voulait que nos revendications soient les plus simples et claires possibles, comme la hausse du salaire minimum, pour que la population soit à l’aise de s’y rallier», explique l’ancienne députée solidaire.

La stratégie sera décrite comme un succès.
Des gains majeurs
Les marcheuses participent, peut-être sans savoir, à une mobilisation historique qui mènera, 10 jours plus tard, à des gains jamais vus pour la condition féminine.
Le 4 juin 1995, le premier ministre Jacques Parizeau se présente aux 15 000 personnes réunies devant l’Assemblée nationale pour répondre aux neuf revendications du mouvement.

Elles seront presque toutes acceptées. Le Parti québécois s’engage notamment à:
- Hausser de 45 cents le salaire minimum, l’élevant à 6,45$ l’heure (les militantes souhaitaient plus);
- Geler les frais de scolarité pour l’année en cours;
- Créer 1200 unités de logements sociaux;
- Mettre sur pied un programme d’infrastructures sociales de 225 millions $ sur cinq ans afin de générer des emplois pour les femmes;
- Réduire le temps de parrainage de 10 à trois ans pour toutes les immigrantes parrainées par un conjoint;
- Adopter une loi sur la perception automatique des pensions alimentaires avec retenue à la source;
- Adopter d’une loi proactive sur l’équité salariale en 1996.
«Le contexte de 1995 était favorable aux femmes qui voulaient se faire entendre», souligne l’actuelle présidente de la FFQ, Sylvie St-Amand.
À cinq mois du référendum, quel gouvernement souverainiste aurait voulu se mettre à dos les Québécoises qui comptaient la moitié du vote populaire?
«On était aussi face à un gouvernement composé de féministes qui provenaient du mouvement des femmes, du milieu syndical et qui croyait à l’égalité», souligne Mme David.
Pour elle, Du pain et des roses a été «nécessaire» pour relancer le mouvement féministe.

«Après les évènements de Polytechnique [du 6 décembre 1989], le mouvement des femmes a été durement attaqué parce qu’on avait osé dire que l’attentat était un geste antiféministe et misogyne», signale l’ancienne co-porte-parole de Québec solidaire.
«Une petite partie de la population se disait que les féministes avaient voulu trop de changements rapidement. C’était parfois éprouvant. La marche a permis au Québec de jeter un regard à nouveau positif sur le féminisme», poursuit-elle.
Que reste-t-il de 1995?
Trente ans plus tard, le mouvement Du pain et des roses reprend vie, à l’initiative de la Fédération des femmes du Québec.
Les actions, qui se tiennent depuis le 26 mai partout dans la province, servent à commémorer la marche, mais aussi à rappeler que la montée de l’extrême droite partout dans le monde menace les femmes.
Comme en 1995, cette douzaine de jours de mobilisation culminera devant l’Assemblée nationale, le 7 juin.
«Je ne crois pas que l’on vive de recul important des droits des femmes au Québec, mais on doit faire preuve d’une énorme vigilance, prévient François David. On vit sur la même planète que le reste du monde où l’intolérance n’augure rien de bon ni pour les femmes ni pour les droits des minorités.»

«Ici même, on assiste à la montée du masculiniste chez les jeunes garçons. Si j’avais une priorité à suggérer au [ministre de l’Éducation] Bernard Drainville, ça ne serait pas d’imposer le vouvoiement en classe, mais plutôt de s’occuper de ces idées qui pénètrent le cerveau des jeunes garçons par les réseaux sociaux», affirme-t-elle.
«Le mouvement Du pain et des roses démontre que la force du nombre permet de faire bouger les choses plus rapidement», rappelle pour sa part Sylvie St-Amand.
Un mouvement qui continue
Dans la foulée du mouvement Du pain et des roses donc, la FFQ a mis sur pied la Marche mondiale des femmes (MMF), cinq plus tard.
Le 14 octobre 2000, plus de 40 000 personnes ont ainsi participé à des marches locales, régionales ou au rassemblement national à Montréal, selon le Conseil du statut de la femme.
Une nouvelle Marche mondiale des femmes est prévue à Québec, le 18 octobre prochain. Plus de 10 000 personnes sont déjà attendues.