Douleur chronique: prendre les commandes


Dre Christine Grou
Au Canada, on estime qu’une personne sur cinq doit composer avec un problème de gestion de la douleur. Trop souvent incomprise ou méconnue, cette condition peut avoir d’importantes conséquences, et ce, dans les différentes sphères de la vie d’un individu.
Si l’on connaît tous cette expérience désagréable, voire à certains moments, intolérable qu’est la douleur, cela est particulièrement le cas des personnes vivant avec une douleur chronique. Celle-ci se distingue par une durée de plus de six mois, et ce, malgré le fait que les traitements jugés adéquats par les professionnels de la santé aient été administrés et complétés.
Des impacts souvent nombreux et significatifs
La douleur chronique n’est pas à prendre à la légère: elle peut en effet engendrer une multitude de répercussions, notamment sur les plans psychique, social, professionnel, familial et relationnel.
Sur le plan psychologique, cette condition peut être à l’origine de symptômes d’anxiété et de dépression. Chez les individus concernés, il n’est pas rare de voir apparaître des biais cognitifs, des pensées négatives ou autodépréciantes telles que: «Si je faisais plus d’efforts, je ne souffrirais pas autant» ou «Si j’avais demandé de l’aide plus tôt, je n’en serais pas là».
La douleur chronique peut aussi entraîner la kinésophobie, c’est-à-dire une peur excessive de bouger ou de pratiquer des activités physiques.
De plus, étant invisible, la douleur subjective qui est vécue par ces personnes peut s’avérer particulièrement difficile à expliquer ou à partager avec leur entourage. Malgré leurs bonnes intentions, les proches peuvent parfois ne pas saisir, voire nier l’ampleur de cette souffrance. De plus, sans vouloir minimiser la douleur chronique, elles peuvent mécomprendre ses effets sur le fonctionnement psychologique de ces personnes.
De surcroît, certains patients peuvent se sentir incompris par certains professionnels de la santé qui ne sont pas suffisamment sensibilisés face à cette problématique.
La douleur chronique peut aussi causer des difficultés fonctionnelles significatives. Par exemple, une personne vivant avec cette condition pourrait être contrainte de réduire sa charge de travail ou d’abandonner certains de ses loisirs et passions, pouvant ainsi être à l’origine de plusieurs deuils.
Sur le plan social, la douleur chronique peut également contribuer à l’isolement, en plus d’engendrer une perte de rôle. À titre d’exemple, une personne hyper performante pourrait voir ses heures de travail réduites, tandis qu’une personne proche aidante pourrait se voir subitement confinée dans le rôle de l’aidée.
Pour mieux prévenir le cercle vicieux de la douleur
La douleur chronique est un lieu de fécondes rencontres de l’interinfluence du corps sur l’esprit, et vice-versa. En effet, certains de ses symptômes, par exemple l’anxiété ou la dépression, peuvent à leur tour exacerber la perception de la douleur. Cette douleur plus marquée peut à son tour entraîner encore plus d’anxiété ou de dépression et ainsi de suite, créant de ce fait un cercle vicieux. Parmi d’autres exemples, mentionnons le manque de sommeil, les habitudes de consommation, la qualité des relations, le manque d’activités qui peuvent aussi accentuer la douleur de cette façon (ou servir de facteurs de protection).
Ainsi, afin d’éviter que la douleur n’augmente encore davantage, il est important de miser sur les différents facteurs de protection, notamment en adoptant une saine hygiène de vie. Cela peut toutefois nécessiter d’importants changements dans le quotidien d’une personne. À titre d’exemple, une jeune adulte aux prises avec de la douleur chronique pourrait désormais devoir faire une sieste chaque jour en après-midi.
Il est également crucial pour les personnes vivant avec cette condition d’entretenir des liens affectifs et sociaux et de poursuivre diverses activités, voire d’en découvrir de nouvelles, et ce, notamment pour continuer à cultiver leur estime de soi et limiter l’emprise de la douleur.
Celles-ci doivent également demeurer vigilantes face à l’autodépréciation et aux jugements sévères qu’elles pourraient avoir envers elles-mêmes. Par exemple, si une personne éprouve de la difficulté à se déplacer en raison de la douleur et craint le jugement des autres, il pourrait lui être utile de se poser la question suivante: est-ce que je jugerais aussi sévèrement une personne qui serait dans une situation similaire?
La douleur étant subjective, celle-ci peut aussi varier en fonction de nombreux facteurs: en fonction du contexte, du plaisir éprouvé lors de certaines activités, ou encore selon les pensées associées à la douleur, par exemple. En ce sens, il est essentiel de reconnaître et d’accepter que la douleur fluctuera dans le temps. Tout comme d’autres maladies, il y aura parfois des journées plus éprouvantes, et parfois aussi, de «meilleures» journées.
Les traitements psychologiques de la douleur chronique
Bien qu’ils ne permettent pas d’éliminer la douleur, les traitements psychologiques peuvent aider la personne vivant avec cette problématique de plusieurs façons, notamment en lui apprenant à mieux gérer sa douleur, en plus d’améliorer sa qualité de vie et son fonctionnement.
À titre d’exemple, un psychologue pourrait apprendre à cette personne diverses techniques de relaxation afin de diminuer son niveau d’anxiété, et ainsi faire en sorte que la douleur ne soit pas davantage exacerbée par celle-ci.
Il pourrait également lui enseigner la pleine conscience, contribuant ainsi à diminuer l’attention portée sur la douleur.
Il pourrait de plus aider cette personne à changer sa perception de la douleur, l’encourageant à concevoir celle-ci autrement, comme une partie d’elle-même dont il faut prendre soin.
Ce professionnel pourrait aussi l’aider à ne pas surinvestir sa douleur, à lui donner un sens et une place, sans lui donner toute la place.
De plus, il peut également être utile de s’informer sur le sujet par l’entremise des sites fiables, tels que ceux du gouvernement ou de cliniques spécialisées en gestion de la douleur.
Il est aussi possible de se joindre à des groupes de soutien afin de partager son vécu avec d’autres personnes vivant cette réalité.
Mieux vivre avec la douleur chronique
En somme, si apprendre à vivre avec la douleur chronique est un chemin de croix, elle n’a pas à devenir un calvaire.
Il est également primordial que nous soyons tous plus sensibles, mais aussi plus sensibilisés face à cette condition.
Bien qu’elle soit invisible, la douleur chronique est pourtant bien réelle: elle mérite d’être prise au sérieux, d’être mieux connue et reconnue de tous.