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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

Hausse du taux directeur: douche froide sur l’immobilier et la construction

La guerre à l’inflation menée par la Banque du Canada depuis mars dernier a de graves conséquences dans le monde de l’habitation au Québec

Un complexe d’habitation dont la construction a débuté plus tôt cette année, à Gatineau. Les mises en chantier résidentielles ont connu une baisse de 14 %, en 2022, par rapport à l’année précédente.
Un complexe d’habitation dont la construction a débuté plus tôt cette année, à Gatineau. Les mises en chantier résidentielles ont connu une baisse de 14 %, en 2022, par rapport à l’année précédente. Photo fournie par Mathieu Villeneuve-Ouellette
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Martin Jolicoeur

2022-12-24T05:00:00Z
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Les hausses successives des taux directeurs auront eu l’effet d’une véritable douche froide sur l’ensemble de l’industrie immobilière du Québec en 2022. 

Tandis que les prix de l’habitation ont continué de croître, le volume de ventes enregistrées s’est mis à diminuer rapidement en deuxième moitié d’année. Résultat, l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ) fait état d’un recul historique de 20 % par rapport à l’année dernière.

« L’ampleur exceptionnelle de la hausse des taux d’intérêt a défié tous les pronostics, explique Charles Brant, directeur du Service de l’analyse de marché de l’APCIQ. [...] [Cette hausse] a ébranlé le marché de revente », jusque-là fortement alimenté par la souscription d’hypothèques à taux variable.

Correction des prix

L’attaque des forces russes en Ukraine et l’emballement de l’inflation ont mené la Banque du Canada à accroître fortement son taux directeur. En moins de dix mois – de mars à décembre –, le taux directeur fut accru à pas moins de sept reprises ; il est passé de 0,25 % à 4,25 %, une hausse totale de quatre points de base. 

Il s’ensuivit une réaction quasi immédiate sur les marchés, entraînant un apaisement de la surchauffe, une nette réduction des offres en surenchère, et un début de correction des prix dans la plupart des régions de la province. 

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À la fin décembre, on s’attendait à ce que le prix médian de l’unifamiliale grimpe en moyenne de seulement 13 % par rapport à la médiane de 2021, une baisse marquée par rapport à la croissance de l’année précédente (+24 %).

Cette hausse des taux hypothécaires se fait aussi fortement sentir du côté du marché du neuf. 

Le neuf au ralenti

Face à des acheteurs plus prudents, ou aux prises avec un pouvoir d’achat sans cesse réduit, les bureaux des ventes d’habitations neuves sont depuis six mois de plus en plus déserts.

À cette nouvelle réalité s’ajoutent les coûts de matériaux, de main-d’œuvre et de construction dans leur ensemble... jusqu’à excéder la volonté (ou la capacité) de prêts des institutions financières envers les constructeurs d’habitations neuves ou locatives.

« Si vous avez besoin de 20 millions $ pour démarrer un projet, et que la banque n’est maintenant prête qu’à vous prêter 16 M $ », ça change la donne complètement, explique Paul Cardinal, le directeur du Service économique de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ).

Des projets abandonnés

Dans ces conditions, poursuit-il, il ne faut pas se surprendre que de plus en plus de projets soient retardés ou abandonnés, « en particulier des projets locatifs, ce qui n’aidera en rien à combattre la crise du logement ».

Déjà, dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal, on a observé une baisse de mise en chantier de 67 % en novembre. Idem dans les RMR de Trois-Rivières et Saguenay, avec des reculs respectifs de 59 % et 68 %.

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Les choses pourraient revenir à la normale à mesure que la banque centrale recommencera à abaisser son taux directeur. Cela pourrait prendre encore un certain temps toutefois, et donner lieu à plusieurs autres augmentations. 

Les économistes de la SCHL comme de l’APCHQ tablent pour l’instant sur un début de relâchement des taux « à compter de la fin de 2023 ». À suivre. 

LES MISES EN CHANTIER EN BAISSE IMPORTANTE 

Le nombre de mises en chantier résidentielles au Québec est en voie d’atteindre 58 000 unités en 2022, soit un recul de 14 % par rapport à 2021. Avec pas moins de 67 962 mises en chantier, 2021 avait été la meilleure année de construction en 33 ans.

L’an prochain, le ralentissement sera encore plus prononcé, alors que l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) anticipe un repli supplémentaire de 21 % des mises en chantier (46 000 unités). 

Selon ses prévisions, c’est le segment de l’habitation locative qui subira la chute de mises en chantier la plus importante (-32 %) en 2023. Une situation qui risque bien d’amplifier de plus belle la crise toujours non résolue du logement. 

Selon la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), le Québec sera en manque de 620 000 habitations en tout genre d’ici 2030, si la cadence des mises en chantier annuelle ne double pas rapidement.


PAS QUESTION D’ABOLIR LA « SIMULATION DE CRISE » 

Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a confirmé en fin d’année que le taux admissible minimal (TAM) pour les prêts hypothécaires non assurés, aussi connu sous le nom de « simulation de crise des taux d’intérêt hypothécaires », demeurera inchangé jusqu’à nouvel ordre.

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Les prêts hypothécaires non assurés sont des prêts résidentiels consentis en contrepartie d’une mise de fonds minimale de 20 %. En vertu de cette norme, les prêteurs doivent évaluer la capacité de remboursement de ces emprunteurs selon le plus haut taux d’intérêt entre le taux contractuel majoré de 2,0 % et un taux de 5,25 %. 

Depuis six mois, ils sont nombreux à demander que cette norme de sécurité soit abaissée ou abolie. Il y a deux semaines, Ottawa a laissé entendre que loin de l’abolir, la « simulation de crise » mise en place pourrait au contraire voir son application élargie. Le BSIF prévoit d’ailleurs débuter son examen des « pratiques et procédures de souscription de prêts hypothécaires » dès janvier prochain. 


LES RÉNOVATIONS SE MAINTIENNENT... POUR L’INSTANT 

Après avoir bondi de 31 % et établi un nouveau record en 2021, les dépenses en rénovation résidentielle n’ont guère ralenti en 2022. 

Selon l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), elles franchiront probablement le cap de 23 milliards de dollars cette année, soit une augmentation de 19 % par apport à la dernière année.

Toutefois, le marché de la rénovation risque fort de ne pas échapper à l’effet négatif de l’augmentation des taux directeurs par la Banque du Canada, craint l’économiste Paul Cardinal, de l’APCHQ. Il prévoit un repli de 15 % des dépenses en rénovation résidentielle en 2023, à 20 milliards $.  


LE SEUIL MIGRATOIRE INQUIÈTE L’INDUSTRIE

Les discussions du gouvernement Legault entourant la possibilité de limiter l’immigration au Québec inquiètent de plus en plus de professionnels du secteur immobilier. Pour l’industrie, l’immigration constitue un facteur important de croissance de la demande, dans la région de Montréal principalement.

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Or, déjà, le Québec ne tire pas sa juste part de ce flux migratoire. Selon l’économiste Daren King, de la Banque Nationale, le Canada a accueilli un total de 493 000 immigrants entre septembre 2021 et août 2022. Or, alors que la grande région de Montréal regroupe à elle seule 11,7 % de la population du pays, il constate qu’elle n’a réussi à attirer que 10,7 % de ces nouveaux arrivants. 

Au contraire de Montréal, a-t-il fait remarquer devant l’APCIQ, Vancouver, Calgary et Toronto parviennent tous à attirer une proportion d’immigrants plus élevée que leur importance démographique au pays. Par exemple, avec une population représentant 17,8 % du Canada, Toronto a réussi en 2021-22 à attirer 31,4 % des nouveaux immigrants, une mine d’or pour l’Ontario.

Si, à la faveur de l’adoption d’une nouvelle politique migratoire de Québec, ce déséquilibre devait se poursuivre encore quelques années, a-t-il prévenu, ses effets se feront sentir négativement tant sur la santé de l’industrie immobilière que sur l’économie de la province dans son ensemble. 

Sept hausses du taux directeur en moins d’un an 

  • 2 mars 2022
    Hausse de 0,25 point de base par la Banque du Canada. Le taux directeur s’établit à 0,50 % 
  • 3 avril 2022
    Hausse de 0,50 point de base par la BDC. Le taux s’établit à 1,00 %. 
  • 1er juin 2022
    Hausse de 0,50 point de base par la banque centrale du Canada. Le taux s’établit à 1,50 %. 
  • 13 juillet 2022
    Hausse de 1 % du taux directeur par la Banque du Canada. Le taux s’établit à 2,50 % 
  • 7 septembre 2022
    Hausse de 0,75 point de base par la Banque du Canada. Le taux s’établit à 3,25 %. 
  • 26 octobre 2022
    Hausse de 0,50 point de base par la BDC . Le taux s’établit à 3,75 %. 
  • 7 décembre 2022
    Hausse de 0,50 point de base par la Banque du Canada. Le taux s’établit à 4,25 %.
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