Doit-on forcer les proprios à louer leurs logements?


Isabelle Maréchal
Au moment où le Québec fait face à une crise de l’habitation sans pareil, de nombreux propriétaires préfèrent garder leur logement vacant. Des centaines d’appartements abordables seraient laissés volontairement à l’abandon. Cela devrait nous faire réfléchir.
Pour quelle raison des propriétaires choisissent-ils de gérer du vide au lieu de contribuer à loger des familles qui auraient bien besoin d’un toit sur leur tête? Parce que c’est plus payant.
Bien sûr, il y a les profiteurs. Souvent, ce sont de grands investisseurs immobiliers. Ou des fins finauds qui connaissent bien la loi et savent qu’elle comporte des failles dont ils peuvent tirer parti.
Cette semaine, le cas des 200 appartements laissés vacants à Pointe-aux-Trembles dans un complexe qui en contient 650 a fait grand bruit.
L’affaire, révélée par Noovo, a soulevé avec raison la colère des résidents actuels du quartier et de tous ceux qui se cherchent un toit abordable, chose rare de nos jours.
Pas de contrôle des loyers
Par exemple, saviez-vous qu’un logement inhabité depuis plus de 12 mois n’est pas assujetti au contrôle des loyers? Comme moi, sans doute n’étiez-vous pas au courant. Ce genre de détail n’échappe toutefois pas aux professionnels. Une fois l’année écoulée, rien ne les empêche de fixer le loyer comme bon leur semble. Il y a zéro risque à rester «vacant» quand tu sais que tu pourras doubler ton profit.
Bienvenue dans le monde crasse du libre marché au détriment de son prochain. On parle souvent de spéculation, mais il s’agit plutôt de rétention spéculative. On garde volontairement un logement vide dans l’attente de le louer ou même de le vendre plus cher. Au Québec, c’est tout à fait légal.
De nombreux petits propriétaires me disent faire de même pour d’autres raisons. Ils ne veulent plus gérer des locataires difficiles. Encore moins vivre avec la crainte chaque mois que le locataire soit devenu insolvable. Je comprends le propriétaire, qui a trimé dur toute sa vie pour payer son duplex qu’il considère comme sa retraite, de ne plus vouloir gérer du trouble et des pertes. Il préfère tabler sur la valeur de propriété à terme.
Forcer la main des loueurs
Lorsqu’un logement vide devient plus avantageux qu’un logement habité, quelque chose ne tourne pas rond dans notre société. Alors, faut-il forcer un proprio à louer son logement? Bien sûr que non. Ce serait brimer le droit fondamental de disposer de ses propres biens. Il y a pourtant moyen de forcer la main des spéculateurs.
C’est dommage que la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, ne voie pas l’importance d’agir. Pour elle, ce sont des «logements privés, et non [des] logements abordables subventionnés» par l’État. Donc on laisse faire, madame la ministre?
Pourtant, la France impose désormais une surtaxe aux logements vacants depuis plus d’un an. D’autres pays ont des incitatifs fiscaux inversés: plus ton logement reste vide, plus tu paies. Ça force la main, sans brimer des droits contestables juridiquement. Surtout, ça envoie un message clair que l’habitation, ça ne peut pas juste être une affaire de rendement.