Difficile de se sevrer des États-Unis dans les poissonneries du Québec
Trump nous force à repenser nos achats, mais ce n’est pas toujours possible


Julien McEvoy
Plusieurs des mollusques et des petits poissons dont raffolent les Québécois sont pêchés aux États-Unis, ce qui complique la tâche de nos poissonneries pour évincer le pays de Trump de nos étals et de nos assiettes.
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«On achète aux États-Unis quand on n’a aucune autre option», indique le propriétaire de La Mer, John Meletakos, au sujet des palourdes, du bar noir, de la dorade grise et du bar rayé sauvage.

Installée au pied du pont Jacques-Cartier depuis 59 ans, la poissonnerie est une institution à Montréal. Si La Mer n’y arrive pas, personne n’y arrive.
«On connaît bien le marché du poisson après 60 ans», rigole le fils de John, Mike. À 33 ans, il est directeur des achats et membre de la troisième génération de l’entreprise familiale.

Les meilleurs vendeurs viennent d’ici
Mike fait venir des poissons et des mollusques des États-Unis pour ajouter de la variété à son comptoir. Ses trois plus gros vendeurs — huîtres, homard et saumon — viennent tous d’ici.
Expulser les produits des États-Unis n’a aucun sens pour lui. De toute façon, constate un pilier parmi ses 40 employés, un poissonnier au service de La Mer depuis 35 ans, les gens sont toujours prêts à essayer de nouvelles choses.

«On vend beaucoup de poisson qui vient de Grèce, comme la dorade royale», lance avec bonne humeur Zakaria Nabil, un Marocain d’origine arrivé au Québec en 1989 et dont le poisson préféré est le bar noir... des États-Unis, car «il est très goûteux».
Geek du poisson
C’est pour le savoir-faire de poissonniers comme Zakaria que les clients font le tour de la ville. Sur l’ensemble des ventes de La Mer, de 20% à 30% des produits viennent des États-Unis.
De l’autre côté du fleuve Saint-Laurent, à Saint-Lambert, un autre poissonnier de troisième génération s’ajuste à l’air du temps.

«On a remplacé l’American red snapper par du B.C. red snapper en février», raconte Toby Marchand, propriétaire de la poissonnerie René Marchand, au sujet du vivaneau qu’il achète maintenant en Colombie-Britannique.
Afficher un produit des États-Unis en grosses lettres dans le présentoir était devenu gênant, si bien que l’entrepreneur a trouvé une solution de rechange.
Mais Toby ne peut pas tout remplacer et il n’en a pas envie non plus, comme l’illustre son association avec un pêcheur de palourdes de l’État du Maine.
«Ça fait 35 ans qu’on lui achète des palourdes, on ne va pas arrêter d’en vendre à nos clients, ils adorent ça», résume le petit-fils de René Marchand.

À 36 ans, Toby est un geek du poisson, le genre à faire un roadtrip en famille l’été pour visiter des poissonneries. Oui, il réduit ses achats aux États-Unis, mais il a surtout hâte de voir ce qui va se passer ici.
Dans deux semaines, les premiers bateaux sortiront en mer, à Rimouski et ailleurs, pour aller pêcher du crabe. Suivra ensuite la saison du homard.
«Est-ce qu’on va exporter aux States autant que l’an passé? Est-ce qu’on va en avoir plus à vendre ici?» se demande le poissonnier.
Le marché de Boston
Tout le poisson n’est pas américain, mais tout le poisson passe par les États-Unis, car Boston est la plaque tournante du marché en Amérique du Nord, comme Chicago l’est pour le grain.
Hors saison, c’est à Boston que La Mer, René Marchand et les autres font la majorité de leurs achats.
Si un pêcheur québécois a 20 flétans à vendre au mois de mars, il ne va pas les diviser, il va tout amener à Boston.
En pleine saison du crabe ou du homard québécois, les crustacés n’ont toutefois pas le temps de se rendre aux États-Unis, ils sont achetés avant de franchir la frontière.
«Il reste quand même quelques usines de transformation en Gaspésie et dans les maritimes», souligne Toby Marchand.
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