Devrait-on donner de l’argent aux sans-abris plutôt que des services de première ligne?


Anne-Sophie Poiré
Est-il plus efficace pour réduire la pauvreté de donner de l’argent aux personnes sans-abri plutôt que de l’aide de première ligne? C’est ce que des chercheurs britanniques tentent de déterminer. Au Canada, une étude similaire a démontré l’an dernier que la somme octroyée aux personnes en situation d’itinérance avait permis à plusieurs de se sortir de la rue.
Nombre d’organisations qui militent pour la lutte contre la pauvreté rappellent depuis longtemps que les transferts d'argent liquide sont le moyen le plus rentable de sortir les personnes de la pauvreté.
Or, très peu d’études ont été menées sur le sujet.
Des chercheurs du King's College de Londres, en partenariat avec l'organisme Greater Change qui vient en aide aux sans-abri à Londres et dans l'Essex, ont décidé de se pencher sur la question.
Quelque 360 personnes seront ainsi recrutées en Angleterre et au Pays de Galles afin d'explorer les avantages d’un programme qui offrirait des sommes d’argent sonnant plutôt que les formes d'aide traditionnelles.
La moitié des participants continuera à bénéficier de l'aide des ressources de première ligne tandis que l'autre, recevra une aide supplémentaire de Greater Change. Les travailleurs sociaux seront chargés de payer leurs dépôts de loyer, leurs dettes impayées, du matériel de travail, des appareils électroménagers, des meubles ou de nouveaux vêtements.
Aucun transfert direct ne sera effectué pour éviter que les prestations ne soient interrompues par les institutions financières.
Très peu de données
«Ce que nous essayons de comprendre, ce sont les conditions limites des transferts d'argent liquide. Quand ça fonctionne? Pour qui ça fonctionne? Quels sont les montants qu'il faut donner aux gens pour que ça fonctionne?», expliquait au Guardian le professeur au King's College, Michael Sanders, qui dirige la recherche.
L'un des premiers programmes de transfert d'argent liquide a été mis en place au Mexique en 1997, et a été utilisé dans le monde entier depuis.
Comme la plupart des données proviennent de pays à revenus faibles ou moyens, ces programmes se heurtent à l'opposition des politiciens et du public qui pensent souvent que les gens dépenseront l'argent pour «biens de tentation»: alcool, drogue ou cigarettes.
Une étude canadienne menée en 2023 à Vancouver démontre pourtant le contraire.
L’argent, ça fonctionne
Avec son équipe, le chercheur et professeur de psychologie à l'Université de la Colombie-Britannique, Jiaying Zhao, a remis 7500$ à 50 différentes personnes en situation d'itinérance. Ces dernières pouvaient faire ce qu’elles voulaient avec l’argent.
Ils ont ensuite suivi les dépenses des bénéficiaires pendant un an après l’obtention du montant. Un groupe témoin de 65 sans-abri qui n'avaient pas reçu cette aide a également été suivi.
L'étude n'incluait pas les personnes souffrant d'un grave problème de consommation d'alcool ou de drogue ou de problèmes de santé mentale. D'autres critères exigeaient que les participants soient sans-abri depuis moins de deux ans.
Conclusion: les bénéficiaires ont passé 99 jours de moins sans domicile et 55 jours de plus dans un logement stable. Ils ont également réussi à amasser près de 1160$ d'économies, en moyenne.
«Ils n'ont pas dépensé plus d'argent en alcool ou en drogues, contrairement à ce que les gens croient, mais ont plutôt dépensé cet argent en loyer, en nourriture, en logement, en transports en commun, en meubles, en voiture d'occasion et en vêtements», soulignait le professeur Zhao en entrevue à CTV News, en août 2023.
Ce projet a également permis à l’État d’épargner 777$ par personne en moyenne, comparativement à ce qui est dépensé dans les organismes venant en aide aux sans-abris.
– Avec The Guardian et The Globe and Mail