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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

Deux jobs, zéro répit: le nouveau visage du salariat québécois

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Photo portrait de Francis Gosselin

Francis Gosselin

2025-08-31T04:00:00Z
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Faut-il travailler pour vivre, ou vivre pour travailler? Pour beaucoup de Québécois qui occupent plusieurs emplois, la réponse est claire...

Alors que l’auteur Timothy Ferriss nous promettait en 2007 la «semaine de 4 heures», c’est plutôt l’inverse qui s’est produit. Et bien que certaines catégories d’emplois privilégiées puissent aujourd’hui bénéficier de la semaine de 4 jours, le portait est beaucoup moins rose à l’autre extrême du spectre.

En effet, selon l’Institut de la Statistique du Québec, plus de 200 000 travailleurs de la province cumulent les emplois. Dans près de 90% des cas, ces gens sont à temps partiel, si bien qu’ils travaillent parfois plus de 50 h par semaine, sans compter le temps de déplacement et de préparation.

Un marché défavorable

Depuis dix ans, le nombre de travailleurs en situation de cumul d’emploi a augmenté moins rapidement que la population générale: 17% de plus, alors que la population a progressé de 24% depuis 2015. Le Québec fait d’ailleurs bonne figure, avec 4,6% de la population active en situation de cumul, contre 5,6% au Canada en moyenne.

Sur une génération toutefois, ce nombre a doublé, tant au Québec qu’au Canada.

Là où le bât blesse davantage, c’est que parmi ceux qui font ce choix, le nombre de Québécois cumulant les emplois et travaillant désormais plus de 50 h a, quant à lui, progressé de près de 50% en 10 ans.

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Des dizaines de milliers de travailleurs, prisonniers d’une logique de salariat souvent à la limite de l’exploitation, qui traduit une tendance lourde.

En 2023, c’était 7,8% des travailleurs du quartile le plus pauvre qui travaillaient à deux endroits, contre 3,4% sur ceux gagnant des salaires du quartile le plus élevé.

Notre dossier récent sur Uber Eats n’était que la pointe émergée de l’iceberg de ce nouveau prolétariat. Le portrait-robot est d’ailleurs sombre: des jeunes, femmes, immigrantes, pauvres, obligées de travailler des heures interminables.

Causes et conséquences

Le coût de la vie – du logement et de l’alimentation surtout – mais aussi le nombre croissant d’emplois atypiques, des «petits boulots» issus de la «gig economy», ou encore l’ambition de s’extirper de dettes ou de s’acheter une maison, plusieurs raisons peuvent mener les Québécois à rechercher un deuxième emploi.

Le fardeau fiscal n’aide pas: pour beaucoup de ménages québécois, l’impôt, les taxes et les charges publiques représentent la première ou la seconde dépense en importance dans leur budget, soit de 20 à 30% du revenu brut. Et l’incapacité des gouvernements à contrôler leurs dépenses n’augure rien de bon pour ce poste budgétaire.

Pour ces travailleurs, la contrepartie est parfois lourde de conséquences. Fatigue et épuisement, conciliation travail-famille quasi impossible, mais aussi, moins d’engagement bénévole, de participation citoyenne, de temps pour s’informer.

Les heures et la valeur

Le cumul des emplois, surtout au bas de l’échelle, n’augure rien de bon ni pour la démocratie ni pour l’économie.

D’ailleurs, n’importe quel économiste vous le dira: à partir de 40h, la majorité des travailleurs contemporains vivent ce qu’on appelle des «rendements marginaux décroissants», c’est-à-dire que chaque heure additionnelle travaillée produit moins de valeur.

La dégradation de la qualité du travail, en raison des erreurs, du stress ou d’enjeux de santé, peut même nuire à la productivité d’une économie.

Si on peut se réjouir que certains choisissent de «travailler plus pour gagner plus», comme l’exprimait jadis un homme politique, il y a aussi matière à tempérer ces ardeurs.

Travailler «mieux» serait un bien meilleur pari.

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