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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Deux amoureux d’un autre siècle

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Photo portrait de Guy Fournier

Guy Fournier

2022-08-09T09:00:00Z
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Marie-Soleil Tougas et Jean-Claude Lauzon sont morts dans l’autre siècle. Vingt-cinq ans ont passé depuis et tout a changé.

Les enfants d’alors n’en avaient que pour Zoé, cette pré-adolescente rebelle de la série Peau de banane que diffusait Télé-Métropole. En un rien de temps, Marie-Soleil, qui l’incarnait avec une singulière vérité, devint l’une des grandes vedettes du Québec, pour ne pas écrire la plus grande. La série terminée, une autre série s’enchaîna, puis une autre et une autre jusqu’à la dernière, Ent’Cadieux, dont la répétition se termina en juin, quelques jours avant qu’elle ne parte en vacances avec Jean-Claude Lauzon, son amoureux.

Après la répétition, à sa demande, j’avais mangé avec Marie-Soleil. Elle venait de reprendre la vie commune avec Jean-Claude pour la énième fois. Leurs amours étaient tumultueuses. Même si j’aimais Jean-Claude comme un fils, l’ayant connu plusieurs années plus tôt lors du tournage d’un film corporatif pour Bombardier, j’avais conseillé à Marie-Soleil de mettre fin à cette relation. « Cet amour-là est trop difficile, il finira par te dévorer. » 

Bonne âme et cœur d’or, Marie-Soleil voulait tout de même lui donner une dernière chance. Je n’allais jamais la revoir. 

-Écoutez la chronique culturelle avec Marika Simard au micro de Vincent Dessureault sur QUB radio :

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TOUT LE QUÉBEC EN DEUIL

C’était l’époque où nos vedettes de télévision régnaient sans partage. Netflix et les autres streamers n’avaient pas encore morcelé l’auditoire tissé serré de la télévision québécoise. Télé-Métropole trônait en tête de l’audimat, l’aspirant radio-canadien toujours sur les talons. 

Le dimanche soir 10 août 1997 quand éclata la nouvelle que Marie-Soleil avait péri dans l’écrasement de l’hydravion de Jean-Claude, le Québec entier eut du mal à fermer l’œil. 

Dès le lendemain, tous les médias étaient drapés de noir et diffusaient une triste musique. Le ton des animateurs était funèbre. De Montréal à Gaspé, de Rouyn jusqu’à Sherbrooke, le nom de Marie-Soleil était sur toutes les lèvres. Le deuil fut national. Comme il l’avait été dix ans plus tôt pour l’ex-premier ministre René Lévesque. 

Je n’exagère rien.

Peu de Québécois connaissaient Jean-Claude Lauzon. Son premier long métrage, Un zoo la nuit, avait remporté le prix Génie du meilleur film canadien, mais son deuxième, Léolo, avait laissé de glace le jury du Festival de Cannes. Tout au plus son film avait-il décroché le Génie du meilleur scénario et des meilleurs costumes.

PALMARÈS DES 100 MEILLEURS FILMS 

Même si Le déclin de l’empire américain avait été nommé dans la catégorie du meilleur film étranger à la 59e cérémonie des Oscars, en 1987, ce siècle ne fut pas celui du cinéma québécois. Le public le boudait encore. Et que dire de ce Lauzon ? Il n’était qu’un baveux, un frondeur et un mal élevé. N’avait-il pas déchiré en direct à la télévision le chèque de 100 000 dollars que venait de lui attribuer la SODEC pour Un zoo la nuit

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Malgré tout, Léolo, son deuxième et dernier long métrage, finit par apparaître au palmarès des 100 meilleurs films de tous les temps, établi par les célèbres critiques du magazine Time, Richard Schickel et Richard Corliss. Mais Jean-Claude n’en sut jamais rien. On était en 2005 et il avait péri huit ans plus tôt. Peut-être eût-il déchiré le magazine Time pour avoir mis tant de temps à reconnaître son talent !

UN DOCUMENTAIRE À NE PAS MANQUER

Aujourd’hui, un cinéaste aussi hors-norme et aussi revendicateur que Jean-Claude pourrait-il encore recevoir un chèque du trésor public ? 

Une femme aussi libre et aussi transparente que Marie-Soleil pourrait-elle fréquenter un homme aussi impitoyable, aussi rude et aussi primesautier ? 

Peut-être, mais seulement si elle était aussi généreuse et aussi authentique que la fille que décrit Micheline Bégin dans Marie-Soleil et Jean-Claude, au-delà des étoiles, le remarquable documentaire que vient de terminer le réalisateur Jean-François Poisson. Retenant avec pudeur ses larmes et ses sanglots, Micheline, la maman de Marie-Soleil, est le témoin le plus touchant du film qu’on peut voir à compter d’aujourd’hui sur la plateforme Vrai de Vidéotron.

Marie-Soleil et Jean-Claude étaient d’un autre siècle, mais il faudra encore longtemps avant qu’on oublie cette jeune femme si lumineuse et si attachante qui avait réussi à mettre la bride au cou de ce réalisateur fougueux qu’on croyait indomptable.

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