Des sièges sociaux vides de leurs hauts dirigeants
Près de 40% des grands patrons des fleurons du Québec travaillent à l’extérieur

Olivier Bourque
Si le nombre de sièges sociaux au Québec est demeuré stable lors des dernières années, force est de constater que plusieurs se sont vidés de leurs dirigeants, selon une compilation effectuée par Le Journal.
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Au sein des 30 grandes entreprises qui font partie de l’indice Québec (IQ 30), 139 dirigeants sur un total de 354, soit près de 40 %, travaillent maintenant à l’extérieur du Québec ; bien souvent en Ontario ou aux États-Unis.
Dans certains cas comme la Banque de Montréal (BMO) ou Molson Coors, il n’y a aucun dirigeant dans la métropole depuis plusieurs années et le siège social ressemble davantage à une façade.

Même constat pour Bell alors que le grand patron Mirko Bibic, un Montréalais d’origine, a décidé de s’établir à Toronto. Une seule dirigeante sur 14 (la première vice-présidente Karine Moses) travaille au Québec, une situation qui n’a guère évolué lors des dernières années.
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Un centre de décision qui glisse
Mais d’autres fleurons voient maintenant leur centre décisionnel glisser à l’extérieur du Québec, même si leur siège social demeure en théorie ici.
C’est le cas de la Banque Laurentienne, qui est maintenant dirigée par Rania Llewellyn, une patronne unilingue anglophone, qui veut toutefois apprendre le français, mais qui demeure à Toronto.
Selon la notice annuelle de 2015 de l’institution bancaire québécoise, quatre dirigeants sur six restaient à Montréal, soit 66 %.
Mais ce chiffre a été réduit comme peau de chagrin et il y a actuellement trois membres de la haute direction qui sont dans la métropole québécoise sur un total de neuf, un taux de 33 %.
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SNC-Lavalin à Londres
C’est la même situation pour la firme d’ingénierie SNC-Lavalin, dont le grand patron, Ian Edwards (qui demeure au Québec), avait décidé de reporter un discours public en raison de sa méconnaissance du français.
En 2018, 10 dirigeants sur 13 étaient à Montréal (77 %) alors qu’ils sont maintenant 6 sur 14 (43 %) à évoluer de la métropole. Depuis quelques années, la supervision des gros contrats se fait d’ailleurs de Londres, bien loin du siège social, boulevard René-Lévesque.
Selon Yan Cimon, il est normal de voir des entreprises au rayonnement international embaucher des dirigeants de partout dans le monde. Mais les voyants rouges devraient s’activer lorsque la grande majorité de la haute direction va ailleurs.
« Quand c’est vidé de toute substance, là on doit s’inquiéter », constate le professeur titulaire au département de management de l’Université Laval, en entrevue avec Le Journal.
« Quand le siège social devient une boîte aux lettres, ça, c’est inquiétant, car il y a un écosystème qu’on perd, des services professionnels, des emplois de qualité, une main-d’œuvre qualifiée », croit-il.
CGI aux États-Unis
Autre exemple, le géant CGI. En 2018, près de la moitié des dirigeants travaillaient à Montréal, mais ils sont maintenant 39 % (7 sur 18) ici. Le patron Georges Schindler demeure d’ailleurs en Virginie.
Alimentation Couche-Tard, qui est maintenant dirigée de l’Indiana par l’Américain Brian Hannasch, a quant à lui deux dirigeants qui sont au Québec (20 %) notamment le fondateur de l’entreprise, Alain Bouchard, qui agit comme président exécutif du conseil d’administration.
Dans d’autres cas, comme Air Canada ou le Canadien National, la majorité de la haute direction demeure au Québec, mais comme on l’a vu lors de l’affaire Rousseau, le principal dirigeant ne parle pas français et les réunions se déroulent bien souvent en anglais.
« Il faut s’assurer que les francophones aient autant de chances à ces postes de direction que les anglophones. Le dirigeant qui n’a pas accès à la culture dans laquelle son entreprise baigne, c’est un leader qui a des angles morts importants », constate le professeur Cimon.
Selon Statistique Canada, le nombre de sièges sociaux au Québec est demeuré relativement stable ces dernières années. Il y en avait 562 en 2015 et 565 en 2019. Par ailleurs, il ne manque pas de candidats pour des postes de gestion et d’administration au Québec. Ainsi, à HEC Montréal, pour ne citer qu’un établissement, en 2020-2021, pas moins de 5450 étudiants ont reçu un diplôme.
Quelques exemples

► Entreprises qui ont le moins de membres de la haute direction au Québec
BMO
0/11 au Québec : 0 %
Banque Royale du Canada
0/10 au Québec : 0 %
Molson Coors
0/10 au Québec : 0 %
BCE (Bell)
1/14 au Québec : 7 %
Alimentation Couche-Tard
2/10 au Québec : 20 %
Banque Laurentienne
3/9 au Québec : 33 %
► Entreprises qui ont le plus de membres de la haute direction au Québec
Banque Nationale
11/11 au Québec (100 %)
Québecor
7/7 au Québec (100 %)
BRP
11/12 au Québec (92 %)
Bombardier
8/9 au Québec (89 %)
Metro
15/17 au Québec (88 %)
Source : Notices annuelles des entreprises faisant partie de l’Indice Québec 30