Des profils de clients de Desjardins en vente pour près de 11$ chacun sur le dark web
La Sûreté du Québec a réussi à se procurer des listes contenant des renseignements personnels auprès de criminels qui sont toujours en cavale

Jean-Louis Fortin
Deux violents criminels en cavale auraient été piégés par la police alors qu’ils vendaient à gros prix sur le dark web des informations personnelles de centaines de clients québécois de Desjardins.
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Juan Pablo Serrano et Maxime Paquette, qui font partie depuis juin dernier des criminels les plus recherchés au Québec, demandaient jusqu’à 10,80$ pour chacun des profils des clients de l’institution financière, révèlent de nouveaux documents judiciaires consultés par notre Bureau d’enquête.
Chacun des profils comprenait «les noms, prénoms, adresse, date de naissance, numéro d’assurance sociale et numéro de téléphone», notent les enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ) dans un affidavit. Bref, quiconque s’en portait acquéreur obtenait amplement de quoi perpétrer une fraude à l’identité.
- Écoutez le segment économique d'Yves Daoust via QUB :
Ces renseignements personnels proviennent du mégavol de données de 9,7 millions de membres de Desjardins, qui aurait été commis il y a un peu plus de cinq ans par l’ex-employé Sébastien Boulanger-Dorval, accusé au mois de juin.

Les affidavits que nous avons consultés dévoilent des détails inédits sur les dessous de l’enquête «Portier», qui a permis d’accuser ou de lancer des mandats d’arrestation contre 8 personnes.
La SQ dévoile notamment avoir mené sept opérations sur le dark web (le «web obscur» fréquemment utilisé par les réseaux criminels), en août et septembre 2019, pour acheter des profils de clients vendus par Serrano et Paquette.
Plus cher pour les hommes
«Ces opérations d’infiltration ont permis l’achat de 261 profils québécois, payés en Bitcoins, qui se sont tous avérés être des clients Desjardins», décrit la SQ.
Serrano et Paquette auraient utilisé le pseudonyme «Frank Costello» pour vendre leur marchandise. Il s’agit sans doute d’une référence au célèbre parrain new-yorkais de la mafia sicilienne qui a sévi pendant une bonne partie du 20e siècle.
Sous le couvert d’un pseudonyme, les policiers ont ainsi réussi à se procurer:
–10 profils d’hommes québécois pour l’équivalent en Bitcoins de 108$, soit 10,80$ chacun;
–10 profils de femmes québécoises offerts pour l’équivalent en Bitcoins de 75$, soit 7,50$ chacun.
En négociant avec les criminels, les agents d’infiltration ont même pu obtenir un rabais au volume. Ils ont ainsi mis la main sur un lot de 201 profils pour la modique somme de 800$, soit environ 4$ chacun.
«Fraudeur professionnel»
Acheter des renseignements personnels que l’on sait volés est un crime au Canada. Toutefois, la police est autorisée à le faire en cours d’enquête si elle a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise par des suspects.
Un témoin de l’enquête policière a d’ailleurs décrit Serrano comme un «fraudeur professionnel de banque».
Un autre informateur a mentionné que «Les données personnelles des membres Desjardins circulent depuis au moins deux ans sur le marché noir», lit-on dans les notes des policiers.
Les informations contenues dans ces documents policiers n’ont pas encore passé le test de la justice.
Les six personnes arrêtées à ce jour, dont Boulanger-Dorval, ont toutes été remises en liberté en attendant la suite des procédures.
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Violents et en cavale
Présentement en cavale à l’étranger, Juan Pablo Serrano et Maxime Paquette sont tous deux décrits comme violents par la police.
Serrano a travaillé pour la compagnie Urgence Crédit, qui appartenait à Mathieu Joncas, un courtier de la région de Québec qui a aussi été accusé au criminel dans cette affaire.
Outre son casier judiciaire bien garni, le centre de renseignements policiers du Québec CRPQ indiquait que Serrano avait été interpellé à pas moins de 46 reprises par les policiers en date de juillet 2019, et comportait une mise en garde à savoir qu’il s’agit d’un individu violent.
Serrano aurait même eu recours aux services d’un garde du corps en 2015. «À notre avis, un sujet accompagné d’un individu s’apparentant à un garde du corps est à considérer comme étant préoccupé, vigilant et plus susceptible de représenter une menace au moment d’une intrusion impromptue à son domicile», écrit la police.
Paquette, quant à lui, «présente des antécédents criminels en matière de violence et d’armes offensives», selon la Sûreté du Québec.
C’est pour ces raisons que la police a eu recours aux services de son groupe tactique d’intervention (GTI) en septembre 2019, lorsqu’elle a obtenu d’un juge la permission de mener une perquisition au condo de Serrano, situé à Laval.
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