Des petits papiers pour narguer Tinder et cie
Un jeu de rencontre rudimentaire enthousiasme la clientèle d’un café

Louis-Philippe Messier
À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
Pour permettre à leurs clients de socialiser malgré la pandémie, deux cafés montréalais ont instauré une sorte de jeu où l’on communique par textos avec une personne dont on a tiré au hasard le nom et les coordonnées inscrits sur de petits papiers.
Ça devait durer seulement le temps d’une Saint-Valentin en mode crise sanitaire. Étant donné le succès et le confinement, l’expérience s’est poursuivie.
Près de la caisse du café La graine brûlée, les pots occupent deux tables : une section Cupidon pour les rencontres à vocation amoureuse, l’autre pour les conversations platoniques sur différents thèmes.

« Des centaines de gens, voire des milliers, y ont participé, c’est difficile à estimer », me dit JP Loignon, un des copropriétaires de cet établissement du Village.
Côté Cupidon, quatre pots : « Gars cherche gars », « Fille cherche fille », « Hétéro » et « Toute ». Les concepteurs du jeu voulaient faire un pied de nez aux algorithmes d’applications comme Tinder, Bumble ou Grindr, pour en revenir à quelque chose de radicalement simple et aléatoire.
« Il n’y a pas de profil, pas de recherche, pas de bullshit, tu es face à l’honnêteté de l’inconnu, je trouve ça plus franc », dit-il.
La feuille des règles suggère de façon ludique une certaine éthique : « Pas d’appels, juste des textos. Vas-y mollo su’a quéquette à l’air, genre garde ça soft et doux comme si ta grand-mère repassait derrière toi pour checker tes fautes d’orthographe---. »
Populaire
« Dès que c’est sorti pour la Saint-Valentin,--- ç’a été très populaire, tout le monde nous posait des questions, et beaucoup de gens s’ajoutaient et pigeaient », se souvient Justine Lepage-Roy, 23 ans, barista au café.

Elle-même n’y a pas participé, étant en couple, mais elle y a ajouté des petits papiers avec le nom de ses amies célibataires.
« Au début, on avait mis des verres pour les noms, mais vite il a fallu utiliser un gros bol pour tous les numéros, surtout ceux des femmes hétéros qui étaient la grosse majorité dans notre café », raconte Mélanie Guillemette, 27 ans, une ancienne barista du café Oui mais non, dans Villeray, un établissement qui appartient aux mêmes proprios que La graine brûlée et qui a lancé le même jeu.

Si la variété des goûts et tendances inhérente au Village semble assurer un certain équilibre entre les catégories de participants à La graine brûlée, c’était différent au café Oui mais non de Villeray, où la surreprésentation des femmes hétéros a fini par avoir raison du jeu, il y a de cela quelques jours.
« Moi, j’y ai participé, mais il a fallu un mois avant que quelqu’un finisse par piger mon nom », relate Mme Guillemette.
Ce jeu survivra-t-il à la réouverture de la salle à manger ?
« Il y aura des séparateurs entre les tables, ce ne sera pas facile pour nos clients de socialiser, alors je pense que le jeu va encore durer longtemps », croit Emma, 21 ans, une barista de La graine.