Des passeurs de migrants offrent leurs services sans gêne sur TikTok

Agence France-Presse
« Départ ce week-end ». Des passeurs présumés utilisent TikTok pour recruter des candidats au passage illégal du Mexique vers les États-Unis, un défi pour les autorités et pour la plate-forme, dont le PDG est auditionné ce jeudi à Washington.
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« Que les Mexicains intéressés par le passage aux États-Unis laissent leur message », poursuit une des nombreuses annonces de passeurs repérées sur TikTok par un journaliste du service d’investigation numérique de l’AFP.
L’annonce est accompagnée d’une photo d’un groupe de personnes en habits de camouflage, avançant de nuit entre des arbustes dans un lieu aride à la frontière entre les deux pays, semblable aux paysages du désert de Sonora (nord-ouest du Mexique).
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Un autre compte propose à des migrants de passer à l’autre extrémité de la frontière dans l’État du Tamaulipas (nord-est), avec une photo de mineurs à bord d’un bateau gonflable. « Nous faisons également des traversées avec des enfants et des familles », précise l’annonce.
Des profils similaires se comptent par centaines dans d’autres pays de départ des candidats au voyage vers les États-Unis (Guatemala, Colombie et Équateur), a constaté l’AFP.

« Pollero »
Sous l’étiquette #pollero (l’expression espagnole qui désigne les passeurs au Mexique), les trafiquants présumés recrutent également des chauffeurs pour leur réseau d’immigration clandestine en Arizona, avec une promesse de salaire de 3000 à 15 000$.
« Si tu as une voiture et que tu veux te faire de l’argent facile, écris-moi », signale un message en anglais.
Moyennant 7000 dollars par personne, les migrants sont transportés dans la remorque d’une fourgonnette ou d’un camion debout, entassés, sans air, sur des centaines de kilomètres, avec parfois la mort au bout du chemin.
Le 27 juin, 56 migrants ont été retrouvés morts asphyxiés dans une remorque abandonnée à proximité de San Antonio au Texas.
Le 9 décembre 2021, 56 autres migrants étaient également morts dans un accident de camion sur une autoroute du Chiapas dans le sud du Mexique.
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Au total, 7661 migrants sont morts ou ont disparu durant le trajet vers les États-Unis depuis 2014, selon l’Organisation international pour les migrations (OIM).
Sur TikTok également, les migrants trouvent des conseils et des partages d’expérience pour leur périlleuse traversée.
Aux abords de la Commission mexicaine d’aide aux réfugiés (Comar) à Mexico, Brenand Vilne, un Haïtien de 30 ans, montre sur son téléphone des publications qu’il a cherchées pour traverser le Darien, la forêt entre Colombie et le Panama où de nombreux réfugiés laissent leur vie.
Andrea, 25 ans, et Beatriz, 29 ans, ont quitté le Venezuela en octobre dernier. Andrea montre à l’AFP le profil d’une jeune femme qui est parvenue à entrer aux États-Unis, et qui prodigue des conseils à celles et ceux qui sont encore en chemin (médicaments...). « L’expérience de chacun est très personnelle », relativise Beatriz.
TikTok affirme interdire la « promotion d’activités délictuelles ».
« Nous ne tolérons pas des contenus qui font la promotion de l’exploitation humaine, dont le trafic de personnes », a déclaré à l’AFP un porte-parole du réseau en Amérique latine.
Attaqué sur plusieurs fronts, TikTok, filiale du groupe chinois Bytedance, affirme avoir éliminé de sa propre initiative 82% des vidéos liées à des pratiques délictuelles au troisième trimestre 2022.
Son PDG Shou Chew va être auditionné jeudi par une puissante commission parlementaire de la Chambre des représentants à Washington.
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300 dossiers d’enquêtes
Les autorités mexicaines mènent leurs propres investigations et leurs propres opérations de cybersécurité pour lutter contre le crime organisé en ligne.
Dans une salle remplie d’ordinateurs à Mexico, des experts de l’Agence d’enquête criminelle du parquet général suivent des profils sur les réseaux sociaux depuis 2017.
L’unité s’est impliquée dans quelque 300 dossiers d’enquête sur des traites d’êtres humains, selon un porte-parole officiel, Rolando Rosas.
Rosas souligne la bonne coopération avec les plateformes: « Les entreprises de services numériques sont obligées de livrer des informations en cas de délit ».

Les agents de l’unité interviennent quand le paiment d’un trafiquant se négocie ou se matérialise par des moyens cybernétiques, selon le chef de l’unité, Benjamín Oviedo.
Un rapport de l’OIM du mois de février confirme que TikTok est utilisé comme un « moyen de promotion » par les passeurs, par exemple en montrant des vidéos de « cas réussis de passages irréguliers » aux États-Unis.
L’OIM a mené son enquête auprès de 531 migrants en transit, parmi lesquels 64% ont assuré avoir eu accès à un téléphone intelligent et à internet pendant leur voyage.