Des municipalités veulent bannir le wakesurf, qui cause des ravages sur les lacs
Elles doivent toutefois convaincre le fédéral de le faire, car elles n’ont pas juridiction

Annabelle Blais
De plus en plus de municipalités veulent ramener un peu d’ordre sur leur lac en limitant la vitesse des bateaux ou en interdisant certaines activités comme le wakesurf qui causent des ravages.
«Il y a des gens, surtout depuis la pandémie, qui ont acheté des bateaux sans savoir conduire et se comportent comme sur un terrain de jeu [...] c’est le free-for-all», déplore Daniel Piché, président de la Coalition pour une navigation responsable et durable (Coalition Navigation).
À Mont-Tremblant, dans les Laurentides, les plaintes concernant la cohabitation sur le lac Duhamel étaient nombreuses.
«Les conflits d’usages entre les pêcheurs, ceux qui voulaient faire du canot tranquille et les bateaux à moteur [...] étaient plus présents», explique la conseillère municipale Dominique Laverdure.
La puissance croissante des moteurs et leur grand nombre d’embarcations provoquaient l’érosion accélérée des berges, et le myriophylle à épi, une plante envahissante, proliférait.
Après un long processus de cinq ans (voir texte), la Municipalité a réussi à convaincre le fédéral d’interdire le ski nautique, le wakeboard et le wakesurf (qui se pratique sans corde, avec une planche surfant sur une vague créée par le bateau). La vitesse des bateaux est aussi limitée selon les zones du lac.
D’autres municipalités comme Sainte-Agathe-des-Monts ou Saint-Adolphe-d’Howard souhaitent également instaurer des règlements sur leur lacs.
«La majorité des lacs comme les nôtres dans les Laurentides ne sont pas suffisamment larges et profonds pour accueillir le wakesurf», explique Line Légaré, la conseillère municipale à Saint-Adolphe-d’Howard responsable du dossier.

Lac-Beauport, dans la Capitale-Nationale, espère également pouvoir proscrire le wakesurf et pourrait limiter la puissance et le nombre d’embarcations à moteur sur le lac Beauport.
«On investit depuis des années pour la revitalisation des rives et à cause des bateaux à vague [wakeboat] tout va être à refaire», déplore le maire Charles Brochu.
Impacts documentés
Selon une étude de 2014 du département des sciences biologiques de l’UQAM, l’impact des vagues du wakesurf est «1,7 fois plus élevé que les vagues d’un bateau en déplacement normal» sur les rivages.
«Nous suggérons qu’une réglementation limite le passage des bateaux de type wakeboat sur les lacs à au moins à 300 m des rives», écrivent les auteurs.
Une autre étude de l’Université Laval en 2017 indique que le wakesurf perturbe le lac jusqu’à une profondeur de 6 mètres et brasse les sédiments, libérant ainsi des nutriments et des polluants.
Ces chercheurs recommandent de limiter ce sport aux lacs ayant au moins 7 mètres de profondeur et 600 mètres de largeur.
«Cherchez-moi des lacs dans les Laurentides où c’est possible, je vous le dis, il n’y en aura pas beaucoup», prévient Mme Légaré.
Les bateaux à moteur central et arrière devraient être interdits sur les lacs de moins de 5 mètres de profondeur, et les pontons et motomarines, sur ceux de moins de 2 mètres, poursuit l’étude.
«Ce qu’on dit aux gens est de mettre le bon bateau sur le bon lac», explique M. Piché de la Coalition Navigation.
L’organisme souhaite aussi qu’une formation à la navigation, plus efficace que l’actuel cours en ligne, soit obligatoire afin de sensibiliser les plaisanciers à la conduite sécuritaire et respectueuse de l’environnement.
Josée Côté, directrice générale de Nautisme Québec, qui représente les plaisanciers et l’industrie nautique, fait valoir que la fréquentation des lacs a diminué après la pandémie et que les mauvais comportements sont le fait d’une minorité. «On recommande fortement aux gens de prendre un cours pratique», précise-t-elle.
«Nos lacs ne nous appartiennent pas»
Les municipalités qui veulent mieux encadrer la navigation sur leurs lacs doivent convaincre Transports Canada d’agir... et s’armer de patience.
«Il se fait encore des partys sur le lac à minuit, c’est inadmissible, mais on ne peut pas réglementer, on n’a pas juridiction», illustre Charles Brochu, maire de Lac-Beauport.
Mont-Tremblant a entamé les démarches en 2018 pour pouvoir instaurer des règlements sur le lac Duhamel, a soumis son dossier en 2021 et a obtenu une réponse du fédéral en décembre 2023.
Il a d’abord fallu tenter de régler le problème avec un code de courtoisie, mais sans succès. «Toutes les mesures mises en place, les plaintes et le constat d’échec ont fait partie intégrante de la demande et de l’analyse remise à Transports Canada», explique Viviane Belle-Isle, conseillère à l’environnement pour la Municipalité.
Une consultation publique est aussi obligatoire. «C’est du costaud», dit Line Légaré, de Saint-Adolphe-d’Howard. La Municipalité, qui a entamé ses démarches en 2020 et espère obtenir le feu vert en 2025, a réalisé 3 consultations et un sondage.
«Il faut démontrer le bien-fondé des règlements, les coûts et les avantages; démontrer qu’on a essayé une mesure alternative et qu’on a parlé à tout le monde. C’est fou, le temps, l’énergie, l’argent», explique la conseillère municipale.
Ce processus est digne d'un parcours du combattant, selon la Coalition Navigation. «À ma connaissance, dans les Laurentides, seuls deux lacs ont réussi ce tour de force après 10 ans d'efforts et 500 000 $ de frais divers», avance son président Daniel Piché.
Réforme attendue
Une modernisation du règlement afin de rendre le processus plus rapide et efficace est toutefois attendue prochainement.
La Coalition juge que les provinces ou les MRC devraient pouvoir réglementer sur les plans d’eau où il n’y a pas de marine marchande. Elle n’accorderait pas ce pouvoir aux municipalités en raison de la proximité entre des élus locaux et certains riverains bien nantis.
Nautisme Québec, de son côté, critique déjà le fait que les consultations soient trop restreintes aux habitants de la municipalité, selon elle.
«On demande que les associations nautiques de plaisance soient consultées automatiquement», explique Josée Côté, DG de l’organisme.
L’organisme croit que si les municipalités devaient obtenir davantage de pouvoirs, cela ouvrirait « la porte toute grande à des restrictions sur des motifs arbitraires, des préférences et des intérêts particuliers, sans données probantes », peut-on lire dans un mémoire récemment transmis à Transports Canada.
«On privilégie la sensibilisation et l’identification de zone où on peut mieux pratiquer l’activité tout en respectant l’environnement», explique Mme Côté.
Nautisme Québec veut créer une charte ou un code de conduite pour la pratique du wakesurf. «On est dans les mesures non obligatoires, des recommandations», précise Mme Côté.
Vous trouverez d'ailleurs des données sur l'état des plans d'eau dans la carte des transaction immobilières du Journal, qui permet de voir à quel montant se sont vendues les propriétés près de chez vous.